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29 Oct

Interview - Prix Découverte MINES NOIRES : Mattias Köping, le démon du Ring ?

Publié par Benedict Mitchell  - Catégories :  #LES MINES NOIRES

Interview - Prix Découverte MINES NOIRES : Mattias Köping, le démon du Ring ?

Bonjour Mattias,

 

Bienvenue à toi.

 

 

Alors, dis-nous qui tu es ?

J'ai quarante-cinq ans. Je mène une vie assez tranquille, aux antipodes de celle de mes personnages. Je vis en Normandie, à la campagne. Je suis marié. J'ai deux enfants.

 

 

Pourquoi l'écriture ?

C'est juste une bonne manière de passer le temps. Il m'est arrivé de ne pas écrire pendant de très longues périodes (des années d'affilée). J'éprouve rarement un sentiment d'urgence à écrire. Je vois cela comme une manière constructive de m'occuper, mais il y en a plein d'autres.

 

 

Pourquoi le thriller ?

 

Je considère plus Les Démoniaques comme un roman noir que comme un thriller. Ce n'est pas un texte à énigme et, somme toute, l'histoire est très simple, presque linéaire. Le roman noir est une exploration des passions les plus sombres de l'être humain. C'est un genre qui présente beaucoup d'affinités avec la tragédie, mais aussi le fait divers : des personnages enfermés dans une condition qu'ils essaient de dépasser et que le destin écrase, des pulsions, des monstres, des victimes...

 

 

Les Démoniaques est ton premier roman. Comment t'est-il venu ?

 

La plupart du temps, une idée toute simple me passe par la tête, une situation, un personnage, une petite anecdote, une simple phrase même. C'est juste cela qui me sert de point de départ, autour duquel je brode. Je n'ai jamais un projet entier à l'esprit. Je laisse le livre s'écrire, en suivant mon inspiration. Après, la graine peut germer, ou pas, et devenir une histoire longue. Par exemple, pour Les Démoniaques, la scène de laquelle tout est parti est la scène du vol du livre ( le chapitre 2). Le reste est venu au fil du temps, par idées successives.

 

 

Ton roman a fait couler beaucoup d'encre depuis sa sortie, et est loin d'avoir laissé tes lecteurs indifférents. Quel(s) message(s) voulais-tu faire passer en abordant de manière crue des thèmes comme l'inceste, les violences faites aux femmes, la prostitution… ?

 

Clairement, soit les lecteurs aiment le livre, soit ils le détestent. Il n'y a guère d'entre deux. C'est bien comme ça. Par contre, je ne suis jamais dit avant d'écrire le livre qu'il devait être choquant, juste pour le plaisir de choquer. Cela s'est fait tout seul, au fil de l'histoire : il a tout simplement fallu que j'accorde le style au contenu.

 

Le problème de la violence de ce roman est une question très importante, à laquelle j'ai très longuement réfléchi et à laquelle je réfléchis toujours, d'ailleurs. Quand j'ai compris quel genre d'histoire j'étais en train d'écrire, je me suis tout simplement arrêté et j'ai cogité des jours entiers avant de savoir si j'allais continuer ou pas. Voilà ce que je me suis finalement dit : 1./ soit tu n'écris pas le livre ; 2./ soit tu édulcores totalement ; 3./ soit tu assumes et tu y vas à fond. C'est la dernière solution qui l'a emporté. Pourquoi ? Ce n'est pas gratuit. D'abord, le cinéma grand public, la TV, la littérature ont tendance à nous rendre supportable ce qui, par définition, est insupportable et totalement inqualifiable. La plupart des fictions rendent la violence acceptable, l'enrobent de miel, l'adoucissent et finalement, on avale sans sourciller les pires atrocités, comme ça, à la chaîne. Ça ne nous dérange plus tellement. On digère et on passe tranquillement à autre chose. Et si on y réfléchit bien, c'est ça que je trouve assez dérangeant, cette accoutumance. Je ne voulais pas écrire ainsi. Je ne suis pas le seul à avoir fait ça, très loin de là, mais je voulais qu'on prenne la violence pour ce qu'elle est effectivement : horrible et dégueulasse. Je pense avoir réussi sur ce point. La violence des Démoniaques est sans glamour, sans rien qui la maquille, terre-à-terre, et par conséquent, glauque et très crédible. Il faut que les lecteurs sachent que les claques qu'ils ont prises, je me les suis mises tout au long de l'écriture. Comme je le disais dans une interview précédente pour le journal Paris Normandie, je suis descendu très loin en-dessous de ma propre limite d'inconfort. Cela a été une écriture parfois éprouvante et la rédaction du roman a été une vraie aventure pour moi. A cause de ça, je ne touchais pas du tout au texte pendant des semaines entières, pour souffler un peu et laisser reposer.

 

Par ailleurs, eu égard à certains thèmes (le viol, la pédophilie, la traite d'êtres humains), je voulais d'emblée définir les personnages négatifs comme de véritables ordures, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté. Il est impossible de se tromper en lisant le bouquin : les salauds sont de vrais salauds. La seule chose qu'on éprouve pour eux, c'est du dégoût et de la haine. Aucune fascination possible, aucune identification non plus. Du coup, revers de la médaille, ils peuvent aussi avoir un côté « cliché », mais je préférais que cela soit ainsi. Sur d'autres thèmes, comme la drogue, je ne voulais pas être complaisant non plus. Est-ce valorisant d'être en manque, de totalement déchoir pour se procurer à tout prix un produit qui fout en l'air votre vie ? La réponse est non. Ce n'est pas glamour du tout, dans la vraie vie.

 

Mais l'un des problèmes quand on opte pour ce choix de la violence crue, c'est vraiment de ne pas tomber dans le racolage. La limite est très mince, c'est un fil de rasoir. J'espère avoir réussi à éviter cet écueil. Je ne voulais surtout pas tomber dans la violence gratuite. Les personnages obéissent et à des pulsions matérielles, très concrètes. Ils ont des appétits bruts et leur unique souci est de les satisfaire. Mais quand on s'informe sur les méthodes des réseaux et des proxénètes, on s'aperçoit que ce qui est écrit dans mon bouquin est très plausible. Ces criminels sont tout sauf raffinés et délicats. On est très loin de Hollywood. Ce sont de vrais salopards, et je n'avais pas envie d'éluder cet aspect des choses. De ce point de vue, le roman est en prise directe avec des questions toujours d'actualité et abordent des problèmes de société majeurs ( voir l'affaire Weinstein et ses suites). Cela dit, Les Démoniaques n'est pas un roman à thèse. Il est évident que les crimes décrits dans le livre sont mauvais et odieux. Pas besoin de dire que c'est odieux : il suffit de le montrer, en faisant agir les personnages.

 

 

Une fois ton livre lu, on ne peut s'empêcher de se poser la question, du coup on te la pose quand même : y a-t-il eu un fait divers qui t'a inspiré une partie de l'intrigue ou des personnages ou alors est-ce un sujet tabou ?

 

Je suis très curieux de tout. Tous les sujets m'intéressent. Le point de départ des Démoniaques a coïncidé avec le débat sur la prostitution en France. Cela m'a fourni une piste de travail : une gamine exploitée, qui se révolte. Je me suis pris d'intérêt pour la question de la prostitution et j'ai suivi les débats. J'ai regardé beaucoup de documentaires et d'émissions sur les gangs, les trafics, les réseaux de prostitution, la prostitution tout court. Le sujet m'intéresse toujours, tout simplement parce qu'il défraie régulièrement la chronique (l'affaire du camion « Sugar Daddy » à Bruxelles, l'affaire Weinstein et ses suites). Ces documentaires montrent très clairement que la prostitution, même légale, n'a vraiment rien de glamour.

Je ne cours pas après les faits divers. Par contre, quand j'en vois un passer, je le lis. Ça peut fournir le petit détail qui va sonner juste dans un bouquin. Les faits divers concentrent tous les éléments d'une histoire extraordinaire, mettant en scène des gens ordinaires. C'est pour cela qu'ils nous fascinent.

Par ailleurs, certains films et livres étaient présents, en toile de fond, pour l'ambiance. Pour les films américains : Délivrance, Monster, Bad Lieutenant, les films de Tarantino. Pour les films français, je citerai en particulier Rue barbare, Canicule, Polisse, L 627, Coup de torchon. Et bien d'autres encore...Pour les auteurs de livres noirs ou totalement déjantés, en voilà quelques-uns : La Route, de Cormac Mac Carthy, qui est l'un de mes auteurs préférés, James Ellroy, Chuck Palahniuk, Stieg Larsson, Anthony Burgess. J'ajouterai Gomorra, de R.Saviano, qui montre très bien comment la mafia s'infiltre partout en Europe, là où on ne l'attend vraiment pas ( dans des petits commerces, par exemple).

 

 

Pareil, une fois le livre refermé pour de bon, une question se pose là encore : le monde est-il vraiment pourri jusqu'à la moelle ? N'y a-t-il pas un mince filet d'espoir ? Pourquoi avoir opté pour le noir de chez noir ?

 

J'aime la vie, j'aime beaucoup rencontrer les gens et échanger, je suis très porté sur l'humour sous toutes ses formes, mais, fondamentalement, je suis un vrai pessimiste. L'espèce humaine m'étonne toujours par sa laideur. Je crois que le fond de l'homme est mauvais, depuis toujours, et que cela ne changera pas. Par rapport à ta question, une anecdote liée à mon bouquin : juste au moment où le roman est sorti, une journaliste me demandait si je n'exagérais pas un peu. Deux heures après cette entrevue, toutes les télés diffusaient l'affaire de l'enregistrement de Donald Trump déclarant qu'il est facile d' « attraper les femmes par la ch... ». C'était juste une coïncidence, mais elle était tellement éloquente ! Il y a bien sûr de l'espoir, heureusement. Il y en a même dans Les Démoniaques : c'est la belle rencontre de Kimy et de Henri. Mais c'est une petite bougie dans beaucoup de ténèbres. De plus, le roman noir obéit à des règles de genre strictes ( d'où la fin).

 

 

Y a-t-il d'autres genres littéraires que tu aimerais explorer côté écriture ou alors tu souhaites rester dans le 100 % noir ?

 

Je ne me pose aucun interdit. J'écris souvent de la poésie, juste pour moi, et des nouvelles. J'ai des idées pour des romans littéraires classiques. J'aurais adoré savoir dessiner, pour être auteur de BD.

 

 

As-tu des projets, cher Mattias ? Si oui, tu veux bien nous en dire plus ?

Mon deuxième roman est en cours, tranquillement. Ce sera à nouveau un roman noir / thriller. Cela avance lentement, car il nécessite beaucoup de recherches. Il a pour toile de fond les guerres de Yougoslavie ( la Seconde Guerre mondiale et les guerres de 1991-95).

 

 

Et pour mieux te connaître, quel lecteur es-tu ?

Je lis vraiment de tout, tous les genres, toutes les époques, sauf les biographies et autobiographies qui ne m'intéressent généralement pas.

 

 

Tes passions dans la vie (autre que l'écriture) ?

J'ai besoin de me dépenser. Je fais beaucoup de sport. J'adore lire et relire mes BD. Je passe beaucoup de temps avec ma famille.

 

 

Qui t'inspire ?

Les gens passionnés, qui vont au bout de leurs projets, quels qu'ils soient.

 

 

Et pour finir, ta Madeleine de Proust à toi, ce serait quoi ?

Hum, c'est vraiment difficile. Je ne sais vraiment pas, car cela dépend de l'humeur du moment. Ça pourrait être une belle page de littérature, un paysage, un plat,...Ce genre d'impression, ça te saute dessus sans crier gare, ce que Proust a d'ailleurs rendu merveilleusement bien. On parle souvent de sa célèbre madeleine, mais il y aussi d'autres moments de mémoire involontaire dans son oeuvre. Par exemple, le narrateur bute sur un pavé, et c'est Venise qui lui revient en mémoire. Rien de défini à l'avance, ça surgit comme ça !

 

 

Enfin, tradition oblige, tu as carte blanche pour faire passer un message de ton choix (cri d'amour ou coup de gueule, c'est comme tu veux).

 

Je veux faire comme Sacha Erbel, à savoir vous adresser un grand merci, à vous, à toutes celles et tous ceux qui organisent le salon, et sans qui rien ne serait possible. Vous y passez un temps fou, sans compter, ni ménager vos efforts. Un cri d'amour, donc !

 

 

Merci à toi d'avoir accepté d'éclairer notre lanterne !

On te souhaite bonne chance pour le Prix !

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Chers aventuriers égarés, bienvenus dans mon royaume souterrain où le Chaos, les Ténèbres et la Folie sont les seuls maîtres à bord ...