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20 May

" La 3ème loi de Newton ", de Jean-Luc Luciani (2016)

Publié par Benedict Mitchell  - Catégories :  #Alcôves

" La 3ème loi de Newton ", de Jean-Luc Luciani (2016)

Cette troisième publication des Éditions Aconitum a de quoi surprendre : une couverture très colorée (bien plus que les deux précédentes), un symbolisme accru et 115 pages qui font de ce format court un " roman coup de poing ". C'est du moins ce qui est martelé sur les réseaux sociaux...

Alors oui, vous aurez très certainement reconnu la référence rien qu'en regardant la couv' : des masques de catcheurs mexicains. Ce qui est censé donner le ton... hé ! hé !

L'auteur, on ne le présente plus. Marseillais, une quarantaine de romans a son actif dans des genres variés comme la Jeunesse). Et ça se ressent quand vous allez plongez dans cette histoire. Point d'amateurisme ici (même si des premiers romans peuvent vous laisser complètement sur votre fondement, comme le très réussi - et noir - La Voie du Talion, d'Alexandra Coin & Éric Kwapinski, sorti le mois dernier chez Aconitum).

Une bannière promotionnelle qui vous permettra de mieux visualiser ces fameux masques...

Une bannière promotionnelle qui vous permettra de mieux visualiser ces fameux masques...

-> " Medhi a passé son enfance dans une cité.

À trente ans, il travaille comme chauffeur livreur dans le sud de la France et vit désormais dans un petit studio.

Un soir où il se rend à une soirée organisée par des amis, il retrouve Mounia, une femme de son âge, qui a été violée alors qu'elle avait 17 ans.

Medhi connaît l'identité des quatre agresseurs et décide de rendre sa propre justice. "

Une cave, quatre jeunes garçons masqués et une fille chahutée par le groupe.

Une nuit de terreur et d'avilissement.

ATTENTION À L'EFFET BOOMERANG !

Chaque action entraîne une réaction...

Cité des Bleuets, à Marseille

Cité des Bleuets, à Marseille

Le décors est planté : la cité phocéenne, dans ce qu'elle a d'extrême : ses beaux quartiers, pas loin de la mer, tranquilles. Et puis ce qui fait plus honte, ces cités qui n'ont rien à envier à celles de la capitale, avec ces " no go zones " (plutôt situées sous terre, genre dans des caves...). De gigantesques barres de clapiers à lapins où règnent la misère, l'exclusion , le rejet, le désespoir et j'en passe et des meilleurs. On sait tous à quoi ça ressemble, et ce qu'il s'y passe. Les choufs & les charbonneurs. Le shit et le trafic de drogues. Les vols et cambriolages. Des zones de non-droits où règne la loi du plus fort.

Medhi y a grandit. Mais il a eu une bonne étoile, ou une fée s'est penchée sur son berceau. Né dans une famille modeste, il a pu s'en sortir et a aujourd'hui la chance d'avoir un taf. C'est pas l'extase pour autant, il se tue au boulot quotidiennement : chauffeur et livreur de meubles, il voit du paysage et un peu de tout, côté clientèle... Entre être esclave et chômeur, le choix est vite fait. Ça lui permet au moins de vivre dans un minuscule studio et de s'assumer.

Un jour, Serge, son meilleur ami, qui a également grandi dans le même quartier que lui (et qui s'en est très bien sorti) l'invite à sa pendaison de crémaillère. Medhi s'y rend et fait tâche. Il ne se sent pas à sa place et tombe, par hasard, sur une nana qui ressemble à un zombie. Plus il essaye de la faire réagir, plus il se rend compte que quelque chose cloche : pour preuve, il la remet enfin et se souvient de Mounia. De ce qui lui est arrivée sept ans plus tôt alors qu'elle avait 17 ans. Du calvaire qu'elle a vécu durant une nuit de tempête, nuit pendant laquelle les éléments se sont déchaînés... Mounia a le même âge que lui, et sa vie est déjà brisée alors qu'elle avait à peine commencé... La pilule ne passe pas pour le jeune homme. Les coupables n'ont jamais été pris, et pourtant, Medhi sait très bien de qui il s'agit. Et ça n'a jamais été un secret pour personne... Non muselé par la peur, il décide qu'il est temps que les immondices qui ont prit une vie, autrefois, payent l'addition. Car le boomerang revient toujours à son point de départ...

Rien de pus glaçant qu'ne ordure planquée derrière l'un de ces masques... (et rien de plus lâche non plus, vous me direz)

Rien de pus glaçant qu'ne ordure planquée derrière l'un de ces masques... (et rien de plus lâche non plus, vous me direz)

-> " Un soleil rouge se lève aujourd'hui, beaucoup de sang a dû couler cette nuit. " (Legolas - Le Seigneur des Anneaux)

Rien que dans son titre, La 3ème loi de Newton renvoie à un principe physique fondamental :

" L'action est toujours égale à la réaction ; c'est-à-dire que les actions de deux corps l'un sur l'autre sont toujours égales et de sens contraires. " (dixit Newton lui-même).

Autrement dit, tu craches en l'air, ça te retombe forcément sur la tronche !

Mais on pourrait aussi jumeler ce principe à la Loi du Talion : œil pour œil, dent pour dent.

Effectivement, le roman en est gorgé. Il ressemble, par certains points, à La Promesse de Cédric Cham, paru en début d'année aux Éditions Fleur Sauvage : l'histoire d'une vengeance implacable, et d'une violence multiple.

On retrouve cela dans La 3ème loi de Newton : un homme qui n'a rien à perdre et qui décide de rendre sa propre justice en punissant les viles pourritures qui continuent de respirer en toute impunité alors qu'elles ont brisé une vie. Et une vie pleine d'avenir, de bonté, d'intelligence. Tout ça parce les agresseurs n'étaient que des connards de primates décérébrés...

L'effet "coup de poing" tant associé à ce livre se confirme : sa lecture consiste en un gros uppercut. Pour la violence physique, certes, mais pas gratuite pour autant. On ne tombe pas dans la surenchère, au contraire. On a même l'impression que l'auteur s'est retenu, tant le roman est ultra synthétique. Non, c'est plutôt la violence de la vie, de ces quartiers & de ce qu'il s'y passe dans l'indifférence générale. La violence d'une société qui a contribué à cette violence, par l'indifférence, le mépris à l'égard des couches populaires. Un système arrivé à bout de souffle, et qui engendre cette violence. Le malaise qui est ressenti à la lecture, violent lui aussi, car acerbe, et déstabilisant.

Bah oui, on vous parle de cités ainsi que de 4 agresseurs lâchement masqués et planqués derrière de ridicules sobriquets dignes de catcheurs... vous pensez à des maghrébins car c'est ce à quoi les médias, les politiques, la société dans son ensemble vous a habitué. Oui, les délinquants ont tous la peau mate, c'est bien connu ! Détrompez-vous, dans son roman Jean-Luc Luciani ne tombe pas dans les clichés du genre, et ne dit jamais rien sur l'origine ethnique de ces 4 sous-merdes. Alors qu'au contraire, à la différence du héros blanc habituel, les deux personnages " positifs " avec Medhi, le justicier désabusé, et Mounia, la victime détruite, ont une connotation orientale du fait de leur prénom. Il apparaît donc qu'ici on a voulu réhabiliter une population ethnique bien trop souvent stigmatisée. Les ordures ne sont pas toutes marron de peau. L'humain est vil, par définition. Qu'il soit blanc, noir, jaune, gris ou même vert... Le Mal n'a pas de frontière et se moque bien des religions, des origines, des couches sociales. Retenez-le bien.

Ce thriller repose aussi sur une critique acerbe de notre société qui fabrique des parias et des clivages. La pauvreté et la précarité ne fabriquent pas non plus, systématiquement, des monstres. La preuve en est avec Medhi et son ami Serge, qui ont grandi dans une cité, et s'en sont sortis, à des degrés différents, certes. Sans oublier Mounia, qui était une brillante étudiante, sérieuse, lorsque sa vie s'arrêta... Et puis on voit aussi que les délinquants, ceux qui gravitent dans la drogue, s'en sortent très bien également : pouvant ouvrir leur commerce ou lancer leur affaire, se payer des écoles privées pour leur marmaille, des jolies baraques dans des quartiers huppés, des 4x4 rutilants etc... Oui, la vie n'est pas toujours juste, et parfois, c'est à nous de remettre les pendules à l'heure. Une morale assez glaçante qui renvoie indéniablement (et sèchement) à l'inefficacité de notre système judiciaire. Et hop ! Encore un coup ! Ça fait mal, hein ? De se rendre compte que la vie n'est pas toujours rose. Qu'on se plaint souvent de nos futilités alors qu'ailleurs, là où on ne veut pas regarder, il y a des choses bien plus terrifiantes qui s'y passent.

La 3ème loi de Newton remet les choses à leur place. Et ça fait du bien !

Et parallèlement à cela, ce livre dépeint (à travers de courts chapitres alternant entre nos deux personnage) le caractère abjecte de l'homme, via le récit d'une nuit d'horreur (pour Mounia). L'auteur y va tout doucement dans ces passages-là, augmentant le thermostat petit à petit. On se dit qu'il ne pourra rien se passer de pire, et hop ! Il en remet de couche le chapitre suivant tout en ne tombant pas dans le glauque. Et en tant que femme, c'est quelque chose qui va nous parler, que ce soit dans le racolage dans la rue, la peur de se retrouver coincée, et pour les moins chanceuses d'entre nous, l'agression sexuelle (conjuguée ici au pluriel). Pis l'horreur absolue : celle de se dire que ça n'a rien d'une fiction... parce qu'on le devine, tout simplement.

Marseille

Marseille

< EXTRAITS >

" - Hé au fait, tu connais l'objet le plus vendu au Portugal pendant la fête des mères ?

Antonio tend un doigt menaçant.

- Je t'ai déjà prévenu de laisser tomber avec les blagues racistes !

Medhi sait très bien qu'Antonio est en train de chercher la réponse malgré tout.

Il lève les mains en signe d'apaisement.

- C'est vrai, excuse-moi. J'avais oublié...

Deux minutes plus loin, Antonio lui demande :

- Alors, c'est quoi cet objet ?

Medhi lui balance la réponse cash.

- Le rasoir électrique !

Même pas un sourire en retour. Le visage d'Antonio se referme comme une porte de prison.

- T'es vraiment trop con ! "

(...)

" Damien jette un œil sur la fiche de livraison. C'est un écran plasma dernier cri, le truc de ouf avec le son qui déchire et la 3D intégrée. Les vendeurs appellent ça un " Home Cinéma " pour mieux appâter les pigeons. Le cinéma à domicile, un vrai bonheur. Plus besoin de quitter son deux-pièces pourri pour visionner la dernière merde hollywoodienne au cinéma de la zone commerciale.

Et les gens sont contents. Ils en redemandent. Ils signent leur contrat de crédit avec les yeux qui brillent. Ils frôlent les étoiles, pensent pouvoir les décrocher.

Damien soupire :

- T'as vu le prix que ça coûte ? Comment ils font pour se payer un truc pareil ?

- T'inquiète, lui répond Medhi, ils n'ont pas les moyens. Ils vont juste rêver un moment, le temps que les huissiers débarquent et récupèrent la télé. "

(...)

" Le courage, ça se trouve pas dans les pochettes-surprises. "

(...)

" Il existe deux sortes de clients. Ceux qui font l'effort de consulter la notice, qui cherchent à savoir comment les choses fonctionnent, et ceux qui ne s'en donnent pas la peine. Qui se reposent sur les autres. Un peu comme dans la vie. "

(...)

" Le soir, après les cours, les apprentis quittaient toujours le lycée technique en groupe. Ils parlaient fort, se bousculant sur le chemin du retour, ils adoraient se faire remarquer, montrant du doigt les gens dans la rue, crachant par terre...

Une vraie bande de macaques. "

(...)

" Ce n'est pas tous les jours que le responsable livraison vous convoque et quand ça arrive, on sait d'avance à quoi s'attendre.

Il daigne enfin d'intéresser à eux. Les observe tranquillement. Ses yeux les transpercent au passage. Un regard glaçant. Sûr de son pouvoir.

Un petit pouvoir certes, mais un pouvoir quand même. Qui lui permet de leur mettre la pression. Damien leur a expliqué comment fonctionne le système. Une pyramide infernale où chacun s'appuie sur la tête de celui qui se trouve au-dessous de lui. Il suffit que quelqu'un refuse de jouer le jeu pour que tout l'édifice s'écroule. C'est pour cette raison que ceux qui contrôlent les pyramides préfèrent nommer des incompétents sur les postes à responsabilités. Qui ne réfléchissent pas et se contentent de faire le boulot. "

(...)

" C'est comme ça depuis toujours lui semble-t-il. La jeunesse est en colère contre ceux qui les ont précédés. Il n'a pas fait exception, lui aussi était en guerre contre le système.

Lui aussi se laissait guider par ses pulsions guerrières.

Il lit dans les pensées du docteur.

- Notre génération aussi était révoltée, mais eux c'est différent. Ils n'ont plus de respect. Ils veulent tout obtenir sans fournir le moindre effort. Ils vont droit dans le mur sans même s'en rendre compte. "

(...)

" Scarface.

L'affiche est encore placardée derrière la porte de la chambre. Tous ses copains ont grandi avec un dealer-tueur-psychopathe comme icône.

Tony Montana.

Le modèle à suivre. Le genre de mec qu'ils respectent. Qu'importe de mourir jeune, pourvu que l'on vive à fond.

Ils n'iront plus trimer toute leur vie pour un salaire de misère comme l'ont fait leurs pères, ça c'est une certitude. Même s'ils ne savent pas ce qu'ils veulent, ils savent par contre parfaitement bien ce qu'ils ne veulent plus.

À fond.

Après-demain, c'est déjà trop loin pour eux. Aucune perspective d'avenir.

Et ça donne lieu à des scènes hallucinantes. "

(...)

" "Ils ne sont pas assez fort pour boucher ton horizon".

C'est la phrase qu'elle se répète en boucle pour tenir le coup.

Un peu comme un mantra, une sorte d'incantation magique censée la protéger. "

(...)

" Un pervers restera toujours un pervers. "

Jean-Luc Luciani

Jean-Luc Luciani

MA NOTE : 5 / 5

-> Un mini thriller grinçant sur une société en perdition, dans lequel la Loi du Talion fait rage.

Une très belle découverte que celle de la prose de Jean-Luc Luciani. J'ai beaucoup apprécié la différence de style entre les passages dans lesquels évoluent Medhi (c'est simple, brut, acerbe) et ceux qui retracent le calvaire de Mounia, bien plus travaillés, descriptifs et gorgés d'émotion (de rage et d'effroi). À travers ces deux protagonistes, ce sont deux forces qui affrontent la vie : la jeunesse, la beauté, l'intelligence et l'espoir brisés (avec Mounia). Et la voix de la révolte, de la contestation, la soif de justice qui grondent avec Medhi.

Un thriller violent, sans concession, qui dresse le portrait d'une société désabusée, saturée d'inégalités, d'injustices (et d'absurdités, il ne faut pas l'oublier ! ^^).

Et nom de dieu : quelle fin !!! Je ne l'avais pas du tout venir celle-là ! Bravo !

Finalement, l'auteur joue bien avec nos nerfs, et on en ressort indignés. En colère contre le karma, avec cette certitude que l'histoire brossée dans ce livre n'est pas qu'une fiction. Des Mounia il y en a des tas, aussi bien dans nos ghettos (pardon, nos cités), qu'à travers le monde. Des gars comme les 4 trouduc' représentés sur la couv' aussi. Mais combien de Medhi, quelque part ? Combien d'hommes prêts à prendre leur responsabilité pour rétablir la justice ? Pas beaucoup, hein ? Donc oui, un livre "coup de poing", dans tous les sens du terme ! Et encore un bon point pour les Éditions Aconitum !

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