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09 Apr

" Le Bal de ses nuits " de Magali Le Maître (2017)

Publié par Benedict Mitchell  - Catégories :  #Alcôves

" Le Bal de ses nuits " de Magali Le Maître (2017)

Voilà une chronique qui tombe à point vue les turbulences que traversent actuellement les Éditions Fleur Sauvage.

Après un premier polar très prometteur, Quelqu'un comme elle, paru fin 2015 chez Fleur Sauvage, Magali Le Maître nous revient avec cette fois un thriller psychologique abordant l'épineuse question des réseaux sociaux avec tous les travers qu'on leur connaît, mais aussi leurs " bons " côtés.

On retrouve cette fois l'un des personnages du roman précédent, le flic lillois Benoît Demazure qui va cette fois être personnellement impliqué dans des assassinats des plus sordides.

J'ai eu la chance de lire ce livre avant sa sortie, puis après sa sortie. Donc autant vous dire qu'avec deux lectures espacées d'un an, mon oeil est plus qu'aiguisé et que je serai... sans pitié ! Mouhahahaha ! Parce qu'ici on ne prend pas gants et qu'on est cash. C'est déjà pas facile de décrypter les romans d'auteurs qu'on ne connaît pas, c'est encore plus difficile quand on connaît certains auteurs. Mais comme on dit, c'est le jeu, ma bonne Lucette !

 

4ème de couverture :

 

Un site de sorties pour parents divorcés et autres âmes égarées.

Un groupe d'amis devenus inséparables : cinq hommes, cinq femmes.

L'une est retrouvée égorgée ; puis une deuxième.

Les enquêteurs sont formels : le tueur est un membre du groupe.

Encore une histoire de psychopathe...

Et si ce n'était pas le bon scénario ?

Noirceur, suspens, faux semblants, l'auteure de Quelqu'un comme elle a su réunir tous les ingrédients nécessaires à un excellent thriller psychologique.

 

Ça commence presque normalement : le flic brisé, esseulé, privé de voir ses gosses après un divorce qui s'est mal passé. Il rencontre une nana mystérieuse, souriante, avenante, pleine d'énergie et c'est la passion éclair : et hop ! on s'installe tout de suite ensemble, on aura bien le temps de faire connaissance plus tard...

Le flic c'est Benoît Demazure, flic à la PJ de Lille. Un peu blasé suite au flop de l'enquête qu'on a suivi dans Quelqu'un comme elle. La nana mystérieuse c'est Magdalena (qui n'est pas son vrai nom), native de la région qui a suivi l'homme de sa vie en Espagne avant de revenir dans sa région natale, le coeur brisé après que son homme soit mort suite à un accident de la route. Mère célibataire, elle écrit des scénarios... Après un drame familial qui a brisé sa vie autrefois (oui, elle a pas eu beaucoup de chance), elle s'est inscrite à un groupe de rencontres sur internet. Vous savez, ces sites qui proposent à des parents divorcés d'organiser des sorties avec leurs enfants le week-end pour tromper l'ennui et la solitude ? Si ça existe... Celui-là (fictif), c'est S.O.S. ou Si On Sortait ? Le genre de réseau social peu fiable qui va plus mettre en relation des déprimés de la vie que des personnes foncièrement humaines et altruistes. Mais bon, on va pas chipoter, c'est la société qui veut ça, et surtout, qui créée la matière première. Bref.

Magdalena a une super bande de potes, tous aussi différents qu'à première vue sympas. Ils se sont baptisés La Meute... une signification très intéressante quand on va voir à quelle sauce vont être mangé certains membres de ladite meute... Ils ont l'habitude de faire des soirées à thèmes une fois chez l'un, la suivante chez un autre... et là c'est soirée country ! Magdalena compte bien présenter son prince charmant de flic à sa bande de potes, et c'est donc dans la grande ferme rénovée de Benoît, située en pleine campagne flamande, que ça se passe. La soirée se déroule bien, Benoît sonde tout ce petit monde et est surpris de certaines personnalités (peu avenantes, il faut le dire). Puis une autre soirée, un anniversaire... et le lendemain, la maîtresse de maison est retrouvée égorgée. Il apparaît très vite évident que la victime connaissait son agresseur. Et les suspicions se portent donc sur les membres du groupe. Qui aurait pu en vouloir à ce point-là à cette garce de la pire espèce (paix à son âme, soit dit en passant) ? Très vite, une autre nana de la bande passe à la casserole, et pas qu'elle... on s'enfonce un peu plus dans le sordide et le choquant ! Tout semble indiquer que Magdalena est la prochaine sur la liste. Benoît a peur pour sa belle... jusqu'au jour où cette dernière disparaît dans la nature. Tout porte à croire qu'elle a été enlevée, Benoît est formel. Il est temps pour lui de sonner la cavalerie... et d'appeler à l'aide.

Hé ! On ne s'endort pas, hein ! Justement, ce qu'il y a de bien avec ce livre c'est qu'on a pas l'occasion de dormir. Tout s'enchaîne très (et trop) vite ! Pas de temps morts ! Des raccourcis, au contraire ! L'essentiel est dit.

Alors, on va procéder méthodiquement...

 

Ce que j'ai aimé :

- Le caractère artificiel des amitiés liées via les réseaux sociaux et internet en général : tant qu'on se voit pour se plaindre de sa misérable condition et de ses problèmes, tout va bien. Les "amis " répondent à l'appel, tels des charognards attirés par les malheurs des autres. Mais qu'il se passe un drame et y a plus personne ! Les amitiés virtuelles et éphémères fondent comme neige au soleil. La vie dans toute sa splendeur, terriblement vrai quand on réfléchit bien.

- La poésie dans l'écriture : on le sait, l'auteure a fait de la poésie avant de se lancer dans le roman plus noir... et ça se ressent, et c'est sympa. De plus, elle met bien en lumière certains travers de notre société comme le matérialisme de beaucoup, le caractère très artificiel des rapports humains. Et comme cette idée qu'on choisit ses amitiés pour se faire-valoir et peut-être paraître un peu moins minable si on a à côté de soi quelqu'un de plus minable... oui, raisonnement tordu. J'assume.

- La construction narrative de l'intrigue : plusieurs parties et dans la dernière on opère un retour en arrière dans lequel on comprend mieux le pourquoi du comment. C'est bien vu et on n'aura pas deviné le diabolique investigateur de tout ce bal macabre.

- La compréhension générale : écriture très incisive, enchaînement des intrigues et des rebondissements, pas de temps morts, psychologies variées et très bien cernées.

- Les motivations du " meneur de bal " (on l'appellera comme ça pour ne pas spoiler. J'entends donc par là, la personne qui se cache derrière les meurtres) : très très noires et dingues ! Putain ! Oui, on peut le dire ! C'est très tordu et retors et ça fait penser à de grands noms du thriller psychologique. Et on pense également au bien fondé des motivations du meneur de bal : est-ce mérité de prendre ces vies ? est-ce bien de rendre justice soi-même quand la justice des hommes n'est pas satisfaisante ? où la folie commence-t-elle ? peut-t-on cautionner une telle violence lorsqu'on fait des victimes collatérales et innocentes de surcroît ? Chacun se fera sa propre réponse, je n'en doute pas...

 

Et on arrive à ce que j'ai le moins aimé :

Il y a un an, ça ne m'avait pas sauté au visage. Faut dire qu'entre ces deux lectures, j'ai lu du très bon, du virtuose, du très couillu. Alors forcément, je deviens de plus en plus exigeante, et il y a de ce fait deux points plus sombres me concernant :

- L'intuition du flic qui devine le pourquoi du comment en buvant sa bière alors qu'il a vu brièvement la personne en question. Je trouve que c'est un peu facile côté déduction (c'est de la faute à Sherlock, m'sieur !).

- Trop court, trop de raccourcis. Avec de telles thématiques, ça méritait vraiment d'être plus creusé et approfondi. On peut redouter les longueurs, je le conçois, mais on a parfois besoin de plus de matière.

 

< EXTRAITS >

 

" ... le policier, du genre cartésien, ne croyait pas aux hasards de la vie. Au cours de ses nombreuses enquêtes, il avait appris que tout, ou presque, finit par s'expliquer un jour ou l'autre. Quand le hasard s'en mêlait véritablement, il brouillait les pistes en faveur des criminels, le plus souvent.

(...)

" ... j'ai besoin d'oublier de temps à autre, au Far West ou ailleurs, que nous sommes une génération de chômeurs et de divorcés, coincés entre nos rêves de grandeur et la crise économique ! Sans parler des drames de la vie ! Alors, oui, je recherche l'insouciance... "

(...)

" Ils étaient tous là, toute la petite bande réunie dans la froide église Saint-Vincent pour dire un dernier adieu à cette pauvre enfant, comme l'avait désignée le prêtre. Tous pleuraient à chaudes larmes. Il se demanda bien pourquoi, vu la garce qu'on enterrait !

Lui se réjouissait intérieurement, car tout se déroulait comme prévu. En effet, il constatait que les paires d'yeux rougis de ses amis ne se posaient ni sur le cercueil de (X), ni, compatissants, vers la famille de la victime, ni même sur le prêcheur, pourtant tout à son rôle de consolateur. Non, les yeux, pas si rougis que ça, s'épiaient les uns les autres, guettant un signe qui trahirait l'assassin caché parmi eux : un regard coupable ou au contraire, une mine satisfaite. Mais ils ne verraient rien, pour la simple raison que l'assassin contenait merveilleusement ses émotions et qu'en outre, il n'éprouvait aucune culpabilité. Juste une onde agréable de chaleur qui l'envahissait à l'idée du bonheur à venir. "

(...)

" C'est alors que les cauchemars s'étaient invités au bal funeste de ses nuits, où des corps ensanglantés et démembrés valsaient au rythme infernal d'une musique joyeusement macabre, leur parvenant d'un train en marche.  "

(...)

" Comme l'être humain est étrange ! Il s'encombre de drames et d'obsessions, et un beau jour, après une saison en enfer, il ne ressent plus rien. "

 

Connaissez-vous vraiment vos amis ?

 

Le 1er quart du livre pose le décors : ambiance teintée de Desperate Housewives et Sex and the City. Futile, pourrait-on croire ? Non, on observe des tranches de vies, les personnages & leur psychologie sont posés. Lorsque survient le 1er meurtre on sombre dans la thriller psychologique avec son jeu de dupes et ses faux-semblants. Des sables mouvants dont le lecteur aura du mal à se dépêtrer tant il voudra savoir qui se cache derrière tout ça. Cette ambiance matérialiste et presque banale sera le terreau de la satire à venir.

Les archétypes sociétaux campés par les personnages restent très crédibles, on a tous connu au moins un membre de cette meute. On connaît même tous une Kim... Mais tous portent un masque, et c'est là l'une des nombreuses forces de ce thriller : à travers les personnages, on a une profonde réflexion sur notre société en ce qui concerne ce culte des apparences qu'on nous force à pratiquer dès notre plus jeune âge. Cette pression du célibat (forcé ou non), d'élever seul des enfants, de faire face comme on peut à la solitude. Et qui nous pousse inexorablement à jouer des rôles...
Et puis à travers d'autres personnages, plus consistants, on voit l'autre côté du miroir : ces personnalités détruites très jeunes, morcelées et incapables de se reconstruire et qui fusionnent complètement avec le lugubre masque de la folie, de la soif de vengeance, de la manipulation, du “tout est bon pour arriver à ses/sa fin(s)” ou ”la fin justifie les moyens”...
Ces mêmes personnages sont construits habilement et même l'auteure nous manipule à travers ses marionnettes en dispersant tout un tas de pièces de puzzle gorgées de faux-semblants.

 

Voilà une transition bien réussie pour l'auteure car Le Bal de ses nuits (hormis deux personnages) n'a rien à voir avec Quelqu'un comme elle même si ici l'auteur aborde une autre forme de manipulation psychologique. On s'éloigne du harcèlement moral en tant que tel (dans le 1er polar de l'auteure) même si la manipulation psychologique et la perversité colossale qu'elle demande et implique peut s'apparenter à une forme de harcèlement moral... De même que l'idée de vengeance “divine” est abordée sous un autre angle également et pousse le lecteur à s'interroger : au final, est-ce bien, est-ce mal ? La fin justifie-t-elle les moyens ? Autant, dans Quelqu'un comme elle on pouvait excuser les deux personnages féminins justicières, quelque part... autant ici, non, même si... mais voilà, la folie s'est invitée dans le bal des nuits du personnage concerné... et c'est un autre type de questionnement qui assaille le lecteur.

 

J'insiste encore une fois sur l'écriture de l'auteure qui va plus loin : plus d'humour (et d'humour noir), de références culturelles, de noirceur, de violences. On ressent davantage l'écriture poétique dans de nombreuses phrases qui sont juste sublimes et presque lyriques. La critique sociale est aussi omniprésente, et c'est – je pense – le thème principal de Le Bal de ses nuits, même si une névrose psychiatrique s'est incrustée en cours de route ^^. Finalement, la société ne nous fait-elle pas devenir des monstres d'égoïsmes ? Des zombies assoiffés de consommation (de communication mais artificielle) et complètement dépourvus d'empathie et d'humanité ? De compassion ? On se dit amis via ces sites (comme S.O.S.), tout comme sur Facebook, mais cela reste virtuel au final car quand on a vraiment besoin d'aide qui répond vraiment présent ? D'ailleurs, le nom de ce fameux site (Si On Sortait) et en particulier de ses initiales, S.O.S. pose là aussi un questionnement et cultive l'ambivalence : on lance un S.O.S. en s'inscrivant sur ces sites, on s'imagine aller mieux en participant à ces sorties mais au final on en ressort encore plus perdus & déboussolés... et désespérément seuls.

Le titre du livre, Le Bal de ses nuits, est également bien trouvé : le passage dans lequel il est évoqué dans le livre est l'un des plus beaux et poétiques que nous livre l'auteure. Mais sa signification est également plurielle et une fois encore hyper intéressante.

 

-> C'est un essai transformé pour l'auteure, qui va plus loin et dissémine plus de violence et de perversité dans ce thriller psychologique.

On flirte pas mal, dans la seconde partie, avec Gone Girl de David Fincher (& Gillian Flynn) et même si à la moitié du roman, j'ai commencé à m'interroger sur le personnage machiavélique number 1 du Bal de ses nuits, je suis restée scotchée à la lecture de cette seconde partie qui nous délivre une à une les pièces nécessaires pour finir ce puzzle. Le dénouement est certes rapide mais nul besoin d'en faire trop. J'ai beaucoup aimé le rythme soutenu rendu possible avec de courts chapitres. L'auteure va à l'essentiel et les sauts de puces qui peuvent être faits ont néanmoins une utilité qui nous est révélée dans le dénouement.

Une écriture fluide, soutenue, claire mais gorgée de sens cachés (la critique est aussi très acerbe), qui pousse à l'introspection, à la contemplation de ce/ceux qui nous entourent avec un regard plus avisé. De la poésie, de la noirceur, du suspens, des faux-semblants, de la violence, de la folie, du sang (mais pas trop) = tous les ingrédients nécessaires à un thriller psychologique au fort potentiel et qui devrait toucher un plus large public que Quelqu'un comme elle rien que pour les thèmes évoqués.

Enfin, une intrigue et une narration très cinématographiques qui ferait une très bonne adaptation ciné/télé !

 

 

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