" Adolphe a disparu " d'Éric Metzger (2017)
Quand l'un de tes humoristes préférés sort son 1er bouquin, tu te dis... " Wow ! ", tout en fronçant les sourcils. Mais les critiques sont bonnes, on est chez Gallimard (quand même), collection L'Arpenteur. Tu laisses passer, guettant la sortie en poche (et puis ta PAL est loin de se tarir donc tu remets souvent certaines lectures à plus tard). Bon, les mois passent, tu mates LCI en déjeunant et tombe sur la Carte Blanche où la journaliste accueille un auteur pour sa sortie littéraire. Et bim ! Qui est invité ce jour-là ? Eric Metzger, de Eric & Quentin, tu sais les deux trublions qui sévissent avec Yann Barthès ? (autrefois dans le Petit Journal de Canal + et depuis la rentrée 2016 dans Le Quotidien sur TMC) Il vient parler de son second roman... Adolphe a disparu. Déjà un second livre ? te dis-je. Toujours chez Gallimard ? C'est que ça doit bien marcher... alors t'écoute, tu regarde et t'es touchée par la sensibilité du gars. Rien à voir avec ses parodies télévisées... Comme quoi, faut pas se fier aux apparences.
T'as reçu le livre y a quelques mois mais tu l'as de suite rangé. T'avais un salon du polar à organiser, d'autres choses à lire, des SP sur le feu... des excuses, toujours des excuses, oui ! Ça n'est qu'il y a quelques jours que tu t'es enfin décidée : parce que t'as vu la liste des auteurs invités à St Maur en poche en juin prochain et que tu t'es dis qu'il était hors de question de te pointer en dédicaces sans avoir lu au moins un livre de l'auteur concerné... parce que c'est la loose, et qu'un livre de 140 pages, faut pas déconner non plus... t'en as juste pour une heure ou deux !
Bon, t'as fini le bouquin, et t'es tellement surprise, conquise, que tu t'es empressée de commander le roman d'avant ! La suite, juste en dessous...
4ème de couverture :
Elle m'a brusquement quitté un jeudi soir. Je ne m'y attendais pas. Autour de moi, tout s'est écroulé, les murs, le ciel et mes pensées. Et puis il y a eu ce coup de fil de ma mère. En sanglots, elle m'explique qu'Adolphe, un vieux chat asthmatique, a disparu au beau milieu du bois de Boulogne. Et alors ? Elle me supplie de l'aider à le retrouver. En temps normal, j'aurais refusé. Mais je n'en avais pas la force ; c'est ainsi que l'aventure a commencé...
Eric Metzger est né en 1984. Il vit et travaille à Paris. Adolphe a disparu est son deuxième roman.
Un petit aperçu d'Adolphe, le chat perdu... (riez pas, j'ai eu un chat à moustache tendancieuse... et le chat en question n'était pas commode du tout...)
Le narrateur vient de se faire larguer par Lola, sa nana. Trentenaire, sa vie s'effondre. Il n'a plus le goût à rien et cherche plus que tout à se faire plaindre. Bon, c'est vrai, il a toutes les raisons du monde de se comporter ainsi : Lola lui a dit qu'elle l'aimait toujours mais qu'elle n'était plus amoureuse. Elle ne peut plus continuer ainsi, d'où l'état de catharsis dans lequel se retrouve notre personnage. Il n'a rien vu venir...
Après une journée au boulot des plus difficiles, il reçoit un coup de fil de sa mère qu'il ne voit pas très souvent... une espèce de Brigitte Bardot parisienne qui écume le bois de Boulogne chaque jour que Dieu fait pour nourrir et s'occuper des chats abandonnés qui y ont élu domicile. Très engagée, elle y tient à ses matous sauvages. Mais il s'avère qu'elle a perdu Adolphe, un vieux matou tout blanc avec une moustache noire. Et le problème c'est qu'étant asthmatique, il a un traitement quotidien à prendre. La mère du narrateur est désespérée et craint pour la vie de son petit protégé. Acculé, notre héros n'a d'autre choix que d'accepter. On peut difficilement dire non à sa maman... Il aimerait bien être le centre du monde vue la tragédie qu'est devenue sa vie, mais il ferme sa gueule et va découvrir le bois de Boulogne comme il ne l'a jamais vu !
A première vue, on est en présence d'un roman intimiste, centré sur la détresse du narrateur, plongé dans les affres d'une rupture amoureuse aussi soudaine que surréaliste.
Le coup de fil de sa mère, désespérée elle aussi, va tout changer. En l'espace d'un week-end, mère et fils vont voir leurs vies bouleversées, leurs rapport transformés. Tout ça grâce à un chat perdu !
Deux personnages émouvants auxquels on peut aisément s'identifier, qui ont morflé par le passé mais qui se sont construits d'une façon bancale, s'éloignant inexorablement l'un de l'autre.
En déambulant dans un bois de Boulogne fantasque, surprenant mais aussi très dangereux, ils vont vivre une sorte de thérapie. Parfois, pour que le mal puisse sortir et laisser place à des jours heureux, il faut se faire violence, il faut morfler, se dépasser soi-même. Le narrateur va vivre cette expérience (et le lecteur avec).
Adolphe a disparu c'est un petit bonheur livresque, un livre dont on n'arrive pas à sortir. L'auteur nous tend la main et on a qu'à se laisser faire. Ça se fait tout en douceur, sans mal... enfin presque. A la fin, il y a une scène très dure... et cruelle. Mais bon, elle est cohérente.
Bref. Une révélation, une écriture claire, limpide, lumineuse, bourrée d'humour ! (hé oui, pas étonnant vu le parcours de l'auteur). C'est une autre facette d'Eric Metzger qu'on découvre ici, à la fois sensible, poétique, militante (qui dénonce les travers d'une société incompréhensible et qui marche sur la tête, mais aussi la maltraitance animale avec beaucoup de justesse, d'humour et d'émotion). C'est sombre parfois mais à la fin tellement lumineux. Une intrigue centrée sur le lien qui unis un jeune homme à sa mère, sur les dégâts causés par la vie, les blessures non cicatrisées, les souffrances quotidiennes qui finissent par créer des névroses, le besoin d'être le centre du monde, d'être réconforté, de pouvoir tout maîtriser.
On pourrait croire qu'on s'embarque dans un roman intimiste mais pas du tout : beaucoup de personnages secondaires tels des anges gardiens ou une cour des miracles qu'on ne saurait voir mais qui existe bel et bien. Des anecdotes croustillantes et étonnantes sur la face cachée du Paris dont on parle souvent mais pas de la sorte. Ça pourrait être sordide mais curieusement ça ne l'est pas : on sourit, on s'émeut, bref, un cocktail détonnant et plus que bienvenu en ces temps troublés.
L'autre visage - moins paradisiaque - du bois de Boulogne, temple à ciel ouvert de la prostitution sauvage...
< EXTRAITS >
" Mes collègues ont eu la politesse de me plaindre toute a journée. J'en profitai pour être le plus malheureux possible. L'un d'eux, jouant à l'expert, m'a expliqué que la douleur passerait bientôt, que lui, par exemple, après sa rupture, n'avait cessé de penser à son ex matin et soir durant un an, mais que, au final, ça allait mieux ! Je l'ai regardé, stupéfait. J'avais envie de l'étrangler. "
(...)
" Elle m'a demandé comment j'allais. J'ai menti, tandis que ma conscience me hurlait à tue-tête que ma vie était fichue, que je devais émigrer aux Etats-Unis, repartir de zéro, ou bien, en cas de paresse, au moins me suicider. "
(...)
" " Et comment je reconnaîtrais Adolphe ? " ai-je demandé. Elle a sorti son téléphone et m'a montré une photo : " C'est un chat tout blanc, sauf qu'il a une petite tache noire sous le nez, comme une moustache... "
Là, j'ai regardé ma mère, ahuri : " Attends, ne me dis pas que tu l'as appelé Adolphe parce qu'il ressemble à Adolf Hitler ?! " Elle a répondu oui de la tête, ajoutant : " Et parce qu'il est méchant lui aussi. " "
(...)
" Si le bois de Boulogne est le poumon de Paris, il doit être aussi abîmé que celui d'un gros fumeur alcoolique, mangeant gras et dormant mal. Aucun " air pur de la nature ", juste le parfum lourd des sycomores qui m'a toujours un peu écoeuré, et cette couleur omniprésente, vert épinard jamais très franc, cachottier, et parfois même suspect. "
(...)
" Il y a toujours une bonne raison pour se débarrasser d'un animal domestique : l'arrivée d'un enfant, un déménagement, une séparation, ou même l'augmentation du prix des croquettes. Les félins embourgeoisés, manucurés, vermifugés doivent soudain s'habituer à une nature qu'ils ne connaissent pas, sans pâtée ni canapés. L'apprentissage est douloureux. En règle générale, ils ne survivent pas plus de quatre ans et succombent à diverses maladies, coryza, infections, sida. Les chats âgés qui traînent dans le bois sont rares. Ils appartiennent à la catégorie des " survivants ", exactement comme Adolphe, lequel devait avoir, comme ma mère me l'avait répété plusieurs fois, " une sacrée force de caractère ". Probablement plus que moi. "
(...)
" Parce que le deuil est une guerre secrète, avec son armée de souvenirs capable de raids multiples : elle vous harasse à chaque instant, sans répit, utilise vos faiblesses en prenant la forme d'un bruit, d'un lieu ou d'une photographie ; elle se glisse dans la bouche de vos proches, fait le siège de vos habitudes, brûle vos nuits et dévaste chaque sourire. Pour la combattre, on ne peut que se ranger sous la bannière du temps. Il s'occupera d'user les armures, d'émousser le tranchant des armes, il enfantera de nouveaux souvenirs, alors c'est long, d'accord, mais je suis sûr que grâce à lui, un jour, on obtient la paix. Enfin j'espère. "
MA NOTE : 5 / 5
-> Essai plus que réussi pour ce second roman. A la fois intimiste, drôle, bouleversant, il a un côté protecteur avec le lecteur et fait office de phare dans les ténèbres : la vie peut nous faire morfler mais il arrive toujours un moment où on se doit de s'ouvrir aux autres et d'ouvrir son coeur, ce qui ne peut que nous apporter du positif, nous faire rebondir et commencer un nouveau chapitre de vie. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir !
Une magnifique histoire sur le rapport enfant/parent qui peut avec le temps, l'indifférence, les aléas de la vie, les blessures non refermées nous éloigner les uns des autres.
Un livre sur la reconstruction, le deuil. Il fait office de coup de pied au cul pour mieux se relever et repartir du bon pied. Des propos et des situations parfois dures, glauques mais qui sont nécessaires : la vie ça n'est pas le pays des bisounours. Et c'est parfois dans les bas-fonds qu'on peut se confronter à la vraie vie et trouver la lumière.
A méditer.