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13 Jul

" Un Cri Silencieux ", d'Amélie Lamiée (2016)

Publié par Benedict Mitchell  - Catégories :  #Alcôves

" Un Cri Silencieux ", d'Amélie Lamiée (2016)

On aurait tort de se priver du plaisir de lire et découvrir de tout jeunes auteur(e)s, tant on peut être surpris. Certes, parfois on peut voir dans un premier roman publié des imperfections, et quel roman (même écrit de la main d'un maître du genre) n'en comporte pas ? Après tout, tout reste toujours perfectible, selon les points de vue de tout à chacun. Mais dans ce livre, on sent nettement un réel potentiel, même si pour cela, il m'a fallu pousser un peu et persévérer dans ma lecture. Sans doute que le désir de percer les secrets de cette nouvelle couverture de Bertrand Binois (une fois encore très réussie) aura eu raison de mes quelques réticences du début, bien envolés celles-là !

-> " Des gouttes d'eau perlant à travers le mur d'une salle de bains, la chose pourrait sembler banale.

Ce phénomène va pourtant conduire Mathilde à s'interroger sur sa santé mentale.

La menant dans une quête d'explications au dénouement insoupçonné.

Et à l'histoire d'une petite fille, Camille... "

Un premier roman intime et étonnant, révélateur d'une belle plume.

-> La maison du bonheur... ou pas

On a tous des rêves d'enfants, à propos de notre future vie d'adulte. Et quand adulte, on peut enfin en réaliser un, alors la vie peut sembler parfaite. Enfin, presque.

Mathilde, jeune trentenaire, épouse et maman comblée de 3 adorables petits bouts de choux, a dégotté la maison de ses rêves. Grande, chaleureuse, conviviale, avec un immense jardin arboré, en plein centre ville, avec beaucoup de cachet. Elle pense alors que sa vie sera idyllique, que rien ne viendra troubler le bonheur des siens. Mais voilà, quelques semaines après l'emménagement et le nouveau départ, quelque chose cloche. Comme une mauvaise impression, une intuition. Un beau jour (ou une belle nuit plutôt), le sommeil ne vient pas, se dégrade même. Attenante à la suite conjugale, une salle de bain, dans l'état. Pas utilisable mais le couple ne sait pas encore trop quoi en faire. Mathilde croit entendre les bruits classiques d'une fuite d'eau. Elle entre dans la salle de bain et constate que les murs ruissellent d'eau. Aussitôt son mari réveillé et prévenu du dégât des eaux imminent, il n'y a plus rien. C'est comme si Mathilde avait rêvé. Sauf que voilà, le rêve va devenir récurrent, et les angoisses qui vont avec tenaces. De plus en plus effrayantes, faisant s'interroger Mathilde sur sa santé mentale. Elle seule entend, voit, ressent les fuites d'eau qu'elle semble imaginer. Qu'en penser ? Maison hantée ? Schizophrénie paranoïde ? Troubles de la personnalité ? Dépression ? Mathilde perd de plus en plus pied, tentant coûte que coûte de s'accrocher, de rester la meilleure mère possible pour sa famille, en attendant de reprendre le boulot dans quelques mois. Mais un jour Olivier, son mari, fait une découverte insolite en bricolant dans la maison : sous une latte du plancher, il trouve trois cahiers, le journal intime de la précédente occupante des lieux, Camille, une fillette de 11 ans. Dès lors, Mathilde se retrouve fascinée par l'histoire de la petite fille. Un lien se crée, complexe, lourd, douloureux...

Et si... Et si Camille avait un lien avec les hallucinations nocturnes de Mathilde, et de cette mystérieuse salle de bain qui pleure, inlassablement, et qu'elle seule peut voir.

-> Voyage dans les eaux troubles du passé...

Mathilde est une survivante. Un terrible fléau l'a marqué lors de son adolescence : l'anorexie. La faute à une maman décédée bien trop tôt, à un papa collant, un peu trop... à un mal être qu'on ressent tous durant la trouble période de l'adolescence. Elle s'en est sortie, mais il reste toujours les cicatrices, et quelque chose d'indéfinissable que la jeune femme s'efforce de refouler pour rester la meilleure mère & épouse possible pour sa famille.

Lorsqu'elle découvre l'histoire de la petite Camille, tout bascule. Une étrange fascination commence, la lecture de ses cahiers intimes, comme s'ils avaient voulu être lu, l'apaise, curieusement. Peut-être le fait de mener, en quelque sorte, une enquête sur la famille qui occupait la maison avant elle ? Mais voilà, dès le début de la lecture, on sent que quelque chose cloche. Qu'une sourde et terrible menace grandit au fur et à mesure qu'on avance dans la lecture, qu'on rassemble les pièces du puzzle de la vie de Camille. Pauvre petite Camille. Une fillette qui, en apparence, avait tout pour être heureuse. Si ce n'est une mère dépressive et anorexique, violentée par son mari. Un père vétérinaire, passionné par ses deux filles : Camille, 11 ans, et la petite dernière, Capucine, 3 ans. Un père toujours débordé avec ses parties de chasse, son élevage de chien et son travail. Un père très nature, très familier, très stricte et cassant, trop proche sans doute de sa fille aînée. Des petites choses qui, mises bout à bout, confèrent de l'anxiété, un malaise indéniable, et de la souffrance. Camille, progressivement, sombre à son tour dans l'anorexie, comme sa mère, comme Mathilde jadis... Et cette dernière ne peut se détacher de sa lecture, même lorsque l'histoire s'interrompt brutalement, il lui faut continuer l'enquête, savoir ce qui est arrivé à la petite Camille. Un peu une question de vie et de mort.

Un Cri Silencieux, c'est le cri que toutes les victimes des troubles alimentaires poussent, sans que personne ne les voient, ne les entendent. Jusqu'à devenir complètement invisibles. Peu importe la boulimie, l'anorexie, l'obésité, c'est la même souffrance au final. Plus que obsession de vouloir être mince pour ressembler aux gravures de mode des magasines, c'est une maladie mentale. Tout comme la personne qui va s'empiffrer pour tenter de calmer une souffrance, une blessure psychiatrique. Et c'est malheureusement un sujet d'actualité, et un sujet tabou.

Amélie Lamiée évoque ce thème avec une certaine pudeur, de la délicatesse, beaucoup de sensibilité, mais aussi avec une violence et un côté cru, bien qu'un voile soit tout de même posé dessus. Ce qui est même incroyable, c'est de voir que l'anorexique se punit elle-même en refusant de manger. La souffrance se mue en drogue... c'est flippant, et très dur.

Qu'on soit maman ou pas, ce roman interpelle. Parfois on a tout pour être heureuse, les gens de notre entourage s'évertuent à nous le rappeler, comme si nous n'avions pas le droit de flancher. Et parfois ça ne suffit pas, parce que nous sommes tous humains, avec nos failles, nos cicatrices pas toujours refermées. Beaucoup de similitudes entre Camille et Mathilde, des blessures communes, et bien plus encore. Pas toujours évident de voir en face l'évidence. Tant les tabous sont nombreux, et on ne veut pas toujours voir ce qui est juste sous notre nez.

L'auteure nous dépeint aussi avec justesse et sensibilité ce qu'est vraiment l'anorexie. Comment la maladie est perçue, vécue, par l'entourage, mais surtout par la victime. L'adolescence précoce, les pressions sociales, familiales, ne font qu'exacerber une pathologie grave.

< EXTRAITS >

" Il est des jours dans la vie d'une mère où tous les éléments semblent se liguer pour tourner à la catastrophe. Une véritable salve d'emmerdes. Les jours où justement, on est fatigué, on a mille autres choses à faire et où l'ont aimerait que la vie coule un peu tranquillement, sans trop d'efforts. "

(...)

" On ne doit jamais s'ennuyer quand on est écrivain parce qu'on a toujours de nouvelles histoires à inventer. "

(...)

" J'aime les objets anciens parce qu'ils ont une histoire à eux. Ils ont connu d'autres époques, d'autres gens, d'autres lieux. Ils ont une odeur particulière et j'aime leurs imperfections. "

(...)

" Je passe parfois des heures à regarder les colonies de fourmis transporter leur nourriture, à la queue-leu-leu. Elles s'affairent continuellement, elles ont l'air de savoir exactement ce qu'elles doivent faire, ce qu'on attend d'elles, sans trop avoir à se poser de questions. Je les envie presque. J'ai l'impression de faire de mon mieux pour devenir celle que l'on voudrait que je sois mais cela semble toujours insuffisant. "

(...)

" Maman dit souvent qu'elle est possédée par le Diable. C'est peut-être une façon de voir les choses : le Diable, c'est sa maladie qui l'empêche de vivre sereinement. Parce que les histoires de diable et de paradis, c'est pareil. Une vaste supercherie. Je vois bien que je l'agace lorsque je pousse le raisonnement jusqu'au bout. Si on monte au ciel quand on est mort, on a le corps de quand on était jeune ou celui de quand on est mort ? Bon, OK, on n'a plus de corps, seule l'âme monte au ciel. Mais est-ce l'âme que l'on a au moment de mourir ? Je veux dire, quelqu'un qui est devenu fou ou complètement sénile ou qui a eu la maladie d'Alzheimer, il part au ciel avec cette âme déficiente ou celle d'avant ? Et les bébés qui meurent avant même d'avoir compris qu'ils existent ? Ah oui, ils deviennent des anges... et c'est quoi l'âge limite pour devenir ou non un ange ? "

(...)

" Comme une anorexique qui appelle au secours mais que personne n'entend par son cri silencieux ? "

(...)

" Je me sens vide. Je me sens misérable à côté d'eux. Comme une ombre tapie dans un coin. Une petite masse recroquevillée et vilaine, un peu repoussante. Je prends soin de me faire la plus discrète possible, pour ne pas être trop visible, pour ne pas gâcher l'ambiance et le décor. De toute façon, personne ne me remarque, personne ne semble me voir. "

(...)

" Même les douleurs physiques s'apaisent à la longue. La faim et l'épuisement me placent parfois dans un état second, une sorte de béatitude hypnotique. L'anorexie est comme une drogue, je sais qu'elle me détruit, mes cheveux tombent par paquet, mes dents se déchaussent, mes yeux commencent à s'enfoncer dans leur orbite et je sens que mon cœur est parfois sur le point de s'arrêter, qu'il n'en peut plus de trouver de l'énergie pour assurer ses battements. Il paraît que faute d'apport en nourriture, mon corps se consomme lui-même jusqu'à attaquer ses propres organes. D'abord, ceux qui ne sont pas vitaux : les ovaires par exemple, d'où mon aménorrhée et le duvet sur mes lèvres. Puis les autres : mon cerveau se met en mode économique, une sorte de veille parfois. Mon cœur bat plus lentement que la moyenne. Il a de petites arythmies de temps en temps. Mais je n'ai pas peur de la mort. Je ne la souhaite pas spécialement, je n'ai pas l'intention de me suicider, mais si elle veut venir, cela ne m'affecte pas plus que cela. J'y pense même avec soulagement parfois.

Je ne peux plus me passer de cette faim constante. Elle est devenue moi-même, elle prend toute la place. Moi qui pensais tout contrôler, je suis devenue son esclave. "

(...)

" La faim est excluante. Elle occulte tout ce qui n'a pas de rapport avec la nourriture. Elle empêche de réfléchir et de se concentrer. Les seuls passages de mes lectures captant mon attention sont ceux où il est question de nourriture. Les odeurs de bouffe, les bruits d'emballage de bonbons ou biscuits suffisent à détourner immédiatement mon attention. La faim me prive même de mon activité préférée. Je ne peux plus lire, cela requiert une concentration que je ne peux plus avoir. La faim m'ôte le sommeil ou hante mes rêves, peuplés de buffets somptueux et gargantuesques, de goûters totalement régressifs. La faim est partout, tout le temps, dévorante.

Avant chaque interrogation écrite, je pensais à la barre céréalière que maman me conseillait d'emmener, au cas où. J'avais faim, je mourais de faim mais l'idée de manger cette friandise m'était insupportable. J'en grignotais un morceau, un tout petit morceau mais immédiatement, je ressentais un tel dégoût pour moi-même, une telle angoisse que rageusement, j'écrabouillai le reste et le jetai à la poubelle. Je me disais : " j'arriverai bien à m'en passer, comme je me passe de tous ces kilos superflus. Si je mange cette barre, je ne vais plus penser qu'à cela durant l'interro, je ne pourrai plus me concentrer ".

Je crois que je deviens folle. Je le sens mais je ne sais plus être autrement. J'aimerais tellement redevenir comme avant, quand je prenais d'énormes goûters sans me poser de questions. C'est vraiment dur d'être une fille. Vraiment trop dur. "

Amélie Lamiée, toute jeune auteure, photographiée par le blogueur fou Docteur Whoo à l'occasion de la journée spéciale Fleur Sauvage/Aconitum qui eut lieu à la librairie lilloise HUMEURS NOIRES le 11 Juin 2016

Amélie Lamiée, toute jeune auteure, photographiée par le blogueur fou Docteur Whoo à l'occasion de la journée spéciale Fleur Sauvage/Aconitum qui eut lieu à la librairie lilloise HUMEURS NOIRES le 11 Juin 2016

MA NOTE : 4.75 / 5
-> Un premier roman intimiste et bouleversant sur deux sujets tabous, et d'actualité.

Je dois dire que je n'étais pas très emballée en commençant cette lecture. Sans doute que les états d'âmes d'une mère au foyer (ou en congé maternel) ne me parlait pas du tout. Mais lorsque le personnage de Camille débarque, la donne change complètement. L'auteure alterne ensuite entre la découverte de la vie de Camille, pendant que Mathilde lit le journal intime de la fillette, et la descente aux enfers de Mathilde, de plus en plus angoissée, mal en point car sommeil désastreux, etc... Le roman se mue alors en page turner, on a envie de connaître la suite, on sent que la tension monte crescendo, qu'on se rapproche de quelque chose d'horrible. On le sent venir au fil des pages, on retient notre souffle. Tout mais pas ça ! Et l'auteure parvient à nous surprendre avec quelques rebondissements qui tombent au bon moment. On grimace pas mal à l'évocation du quotidien de Camille, de cette petite fille qui avait tout pour être épanouie et qui pourtant a sombré... on est écœuré par son abominable père, sa mère qu'on a envie de secouer, la petite sœur qu'on plaint...

Un Cri Silencieux est en somme un roman mystérieux, accentué par la très jolie couverture de Bertrand Binois, que j'ai maintenant comprise ! Deux clés de tailles différentes mais unies par quelque chose. Pour découvrir en quoi, il faudra faire ce voyage bouleversant et vous plonger dans la lecture de ce roman. L'écriture reste belle et agréable bien que souvent alourdie par des redondances, de trop récurrents adverbes et un style parfois trop riche. C'est une pointe de détail, certes, qui n'a pas nui à mon plaisir de m'imprégner de cette histoire. D'un certain côté, ce livre est trash, mais cette violence n'est pas stylistique, linguistique. Elle est sous-entendue, montrée derrière un voile. C'est plus insidieux et ça marque les esprits également. Tellement de jeunes filles ont vécu, vivent et vivront encore ce calvaire. Ces calvaires, devrais-je dire. Ça donne à réfléchir et ça fait froid dans le dos...

Finalement, à la fin du roman, le mystère demeure sur un certain point. Chaque lecteur sera libre d'en imaginer la cause. Personnellement, j'y ai trouvé beaucoup de poésie, de justesse, de sensibilité, de pudeur mais aussi beaucoup de gravité, de souffrance, de colère. Un très joli mélange, une fleur sauvage très intéressante que je conseille, même en lecture estivale. Un roman surprenant, vraiment, auquel je ne m'attendais absolument pas. Un premier essai réussi, comme on dit, qui laisse présager futur attrayant ! ^^

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