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04 Apr

" Cachotteries ", d'Anne Gerbedoen (2015)

Publié par Benedict Mitchell  - Catégories :  #Alcôves

" Cachotteries ", d'Anne Gerbedoen (2015)

En voilà un bien étrange roman que j'ai le plus grand mal à classer ! Paru aux Éditions Fleur Sauvage durant l'automne 2015, Cachotteries constitue - pour moi - une étrangeté. De celle à laquelle on ne s'attendait pas à trouver dans un catalogue éditorial pour l'heure très sombre et atypique. Tout comme le montre la couverture de Bertrand Binois avec ce beffroi " de travers ", je me suis retrouvée dans le même état durant ma lecture... de travers...

-> " Un vol plané du haut d'un beffroi.

Une facétieuse détective, son mari blasé.

Le suicide d'une amie.

Et une multitude de secrets... "

Avec ce premier roman, l'auteure s'éloigne des clichés noirs qui si souvent caractérisent la littérature policière. Son personnage central, Hermione Montbaillard, se révèle être une dame aussi drôle qu'attachante et surtout, terriblement imprévisible. "

Clocher du beffroi de Bailleul, dans les Flandres.

Clocher du beffroi de Bailleul, dans les Flandres.

-> Plouf !!!

Alors oui, pour s'éloigner " des clichés noirs qui si souvent caractérisent la littérature policière " oui, on en est même très loin !

Ne serait-ce déjà que pour le décor : Baliol dans les Flandres, qui n'est autre (selon moi) que l'alter ego de la ville de Bailleul. D'ailleurs, tous les noms de lieux sont assez déstabilisant, surtout pour ceux qui se rapportent à la région flamande comme Malo-Dunes (pour Malo-les-Bains...). Cependant, la Normandie ou encore Brest ont été épargné ^^. Soit, c'est un parti pris original, encore plus pour les noms. Hermione Montbaillard semble être le nom le plus normal dans la masse de noms et patronymes tous plus abracadabrantesques les uns que les autres ! À titre d'exemple, je citerai Albéric Médéril, Bertille Dupennoy, Pandora, Hildegonde Jusieux, Présentine, Bélisaire, Cléophase, Wandrille, Ancelotte, Télesphore Herménégilde... Insolite, ne trouvez-vous pas ? Même le quotidien régional La Voix du Nord passe à la moulinette, devenant La Voix des Monts... C'est assez cocasse et pittoresque, il faut bien l'avouer, donnant au cadre de ce roman une indéniable originalité de même qu'une ambiance désuète, un peu à la Tim Burton (pour les villages improbables & ses habitants un peu " originaux " dirons-nous ^^). À ce propos, l'ambiance de village, dans Cachotteries, m'a fait penser au Village de la célèbre (et kitch) série LE PRISONNIER, et dans certains aspects (commérages & secrets) à une autre série plus récente (et à la fois drôle & noire), DESPERATE HOUSEWIVES.

Concernant l'histoire c'est une toute autre chose : Hermione, femme au foyer aimant manier les mots, cuisine face à sa fenêtre donnant sur la place du beffroi de Baliol lorsqu'elle voit chuter un corps depuis le clocher. Stupeur et tremblement : la foule s'agglutine sur la Grand'Place (typique de la région flamande) telle une nuée de mouches à merde attirée par un imposant et fumant étron. L'attrait des gens pour le morbide, dans toute sa splendeur ! Très vite, la nouvelle tombe : Albéric Médéril, adjoint du maire, a fait le Saut de l'Ange. Et plouf !!! Hermione est choquée : elle connaissait indirectement la victime " suicidaire " car il n'était autre que l'amant secret de sa meilleure amie, Hildegonde Jusieux (employée de mairie). Cette dernière entretenait une liaison avec cet homme respectable - et surtout marié - depuis une vingtaine d'année. Elle pense alors à la peine que va vivre son amie et décide de lui laisser quelques moments de répit. De toute manière, si elle a besoin de son soutien, Hildegonde la contactera... Or, après un silence anormal, Hermione s'inquiète de n'avoir eu de nouvelles de son amie et décide, avec l'aide de son époux, Bélisaire, de lui rendre visite. Trouvant porte close, tous deux entreprennent d'entrer par effraction chez leur amie pour y découvrir le cadavre de cette dernière, ayant visiblement abusé de médicaments... Le couple est à terre : leur amie n'a laissé aucun document n'expliquant la raison de son geste désespéré. Hermione ressent alors le besoin de faire la lumière sur ce drame qui la touche de plein fouet, incapable de laisser le souvenir de son amie s'envoler à jamais, et encore moins être sali par qui ou quoi que ce soit...

Grand'Place et beffroi de Bailleul...

Grand'Place et beffroi de Bailleul...

-> Et re plouf !!!

Sur la forme, je n'ai pas grand chose à redire : l'auteure est également poète (et a publié deux recueils dans ce domaine, salués par la critique). Sa plume est riche, fleurie, imagée, comme ses consœurs d'antan. Le style me fait sans doute penser à du classique soutenu, ce qui plaît à la plupart des lecteurs. On y trouve, d'ailleurs, quelques incursions poétiques auxquelles je n'ai strictement aucun reproche à faire.

Par contre, ce qui m'a posé problème (et je me dois d'être honnête à 100%) c'est le fond de Cachotteries. 118 pages qui se lisent vite et dans lesquelles je n'ai pas eu l'impression qu'il se passait grand choses. Attention, ce type d'intrigue et d'histoire ont tout pour séduire les aficionados du genre. Concernant ce dernier, je ne peux pas vraiment dire qu'il s'agit d'un polar ou d'un thriller. On dira que ça picore dans ces deux genres. J'ai eu l'impression de me retrouver dans Arabesque avec la célèbre Jessica Fletcher ( ce qui n'est pas une tare loin de là !!! Je dois d'ailleurs confesser que lorsque j'étais enfant, j'adorais regarder cette série " policière " ^^). Jusqu'à la dernière page j'ai voulu croire que l'intrigue ne pouvait pas être aussi simpliste, qu'il allait y avoir un rebondissement de tordu mais non : tout ça pour ça ? Alors oui, je suis de travers, ou plutôt je l'ai en travers de la gorge. Le titre me paraît du coup pertinent parce que tout repose sur des cachotteries, ces petits mensonges qu'on garde pour soi et qui sont susceptibles de causer de grands dégâts mais pas de quoi casser trois pattes à un canard, malheureusement pour moi.

L'une des choses qui m'a le plus irrité durant ma lecture ce sont les dialogues entre les personnages, en particulier entre Hermione et son époux : bien trop mièvres et convenus pour moi. Je ne connais aucun couple dans mon entourage qui discute de cette manière, dans un langage aussi riche LOL. Je n'ai donc pas trouvé cela très crédible, et de ce fait oui, c'est un peu une écriture et une façon de tisser un récit trop old school pour moi. Mais je ne doute pas que ça pourra plaire à d'autres lecteurs peut-être moins exigeants et avides d'originalité.

Enfin, le côté " terriblement imprévisible " d'Hermione, je l'ai trouvé un peu trop " gentil " : Jessica Fletcher (pour en revenir à elle) l'était bien plus à titre de comparaison (même si on est pas dans un revival d'Arabesque !) ^^ Peut-être que si suite il y a, on pourra mesurer véritablement son côté " détective facétieuse ", mais dans Cachotterie la mayonnaise n'a, hélas, pas pris pour moi...

L'auteure, Anne Gerbedoen

L'auteure, Anne Gerbedoen

< EXTRAITS >

" Voir un jour cette petite cité, c'est l'aimer ; découvrir sa campagne qui lui colle à la peau, c'est s'y attacher. " (à propos de Baliol / Bailleul)

(...)

" Aujourd'hui, les choses ont bien évolué. Le temps ayant œuvré insidieusement, plus rien n'est jamais comme avant, un peu comme si celui-ci se chargeait constamment de tout effacer. "

(...)

" Qu'ils soient de sucre ou d'épice,

aux raisins ou au chocolat,

tous viennent au monde

par l'exquise entremise

d'un apprenti de Dieu

multipliant les pains.

......

Ainsi, lorsque la farine, fleur de gourgandine,

s'éprend du levain,

il naît de ce marivaudage

comme un doux présage

d'une union sacrée et bénie.

......

Et pour chaque tranche de mon quotidien,

les croûtes se dorent et se caramélisent.

Les quignons se font gourmandise.

......

Puis surviennent les bâtards

nés de quelques emballements

de bien légers ferments

et fruits d'infimes entailles

chargées de séduire une pâte.

......

Aussi, permettez-moi de passer

sur les croustillants détails

de ces amours cuisantes !

......

Car même à l'ombre d'un four

rougeoyant de passion pour sa tendre mie,

jamais je ne connaîtrai toutes les ficelles

de ce brûlant métier

dont l'austère fournil

n'est qu'un brillant enfer. "

(...)

" On n'a jamais à se mêler de la vie d'autrui, qu'il soit proche ou inconnu. Chacun est seul maître de son destin, il lui appartient envers et contre tous. "

(...)

" Le carnaval pour nombre de gens c'est un peu de plaisirs dérobés à la vraie vie, celle des conventions, des faux-semblants, des obligations... (...) L'intérêt de la fête, c'est qu'elle permet d'oublier un temps ses soucis, d'échapper au quotidien, d'effacer les différences... Elle offre aussi à chacun de gommer ce qu'il est vraiment, de devenir cet autre qu'il porte peut-être en lui, en changeant d'apparence. Mais, tôt ou tard, comme souvent dans l'existence, les masques tombent dans une cruelle ou tendre vérité. "

(...)

" Certains êtres prennent des autoroutes pour tracer leur destin, d'autres empruntent des chemins caillouteux et impraticables. On fait tous le choix d'une vie pour écrire son histoire. A chacun de l'accepter du mieux qu'il peut. "

(...)

" Même si nous sommes tous des êtres fragiles, hantés par l'ombre de la mort, il nous faut vivre comme si nous n'avions jamais vécu. "

(...)

" Hermione aimerait tant recevoir de jolies missives aux tournures originales et aux mots simples et généreux. Car même pour les grandes circonstances de la vie, ne subsistent plus que des formules toutes faites. Les vœux de bonheur sont toujours les meilleurs et les condoléances ou félicitations généralement très sincères. Pareillement, les cartes postales d'aujourd'hui empruntent leur style à celui des télégrammes d'antan. Et leur format réduit n'empêche nullement d'y trouver une malheureuse et toujours malmenée orthographe. Pour Hermione, écrire c'est viser à toucher l'émotion de l'autre... C'est dire des choses qu'on n'oubliera jamais, tels des tatouages à jamais figés. C'est surtout réfléchir avant de s'épancher pour ne retenir que des paroles qui sonnent justes et vraies, celles que chacun porte en soi et qui viennent au cœur. "

(...)

" L'amour épouse parfois l'apparence d'un étrange mal, un mal qui détruit insidieusement et qui ressemble bizarrement à de la gangrène. Et le désespoir que l'on subit est souvent si fort que rien ne semble en mesure d'endiguer l'horrible marée noire qui vous inonde alors. "

(...)

" Il faut pouvoir rire de tout de peur, un jour, d'être obligé d'en pleurer. "

(...)

" Plus on remue la merde, plus cela sent mauvais. "

(...)

" L'affection que l'on porte à autrui ne doit jamais être un fardeau à porter, un asservissement dont on ne sait jamais comment se libérer, mais seulement un ciment qui unit avec force, légèreté et confiance. "

(...)

" La vie n'est faite que de pages que l'on tourne et la mort aussi en est une. Le mot fin s'y écrit en lettres capitales. "

(...)

" Nous ne sommes pas tous égaux dans ce grand millefeuille de merde et de confiture qu'est la vie. Et tant de personnes tuent aujourd'hui en toute impunité. Elles demeurent libres et respectables pour autant. Rien ne les arrête ! Toutes les armes, tous les moyens sont bons, même les plus insidieux. Ainsi les mots sont souvent des truands. Qu'ils soient calomnieux, humiliants, coléreux ou blessants... il y a tant de propos malheureux qui assassinent aussi sûrement qu'un propret couteau à la lame bien aiguisée. "

MA NOTE : 3/5

-> Un hybride de polar avec de l'originalité mais néanmoins trop bancal à mon goût...

Autant, j'ai trouvé le cadre très original et rafraîchissant avec les noms bizarres - comme sortis d'une toute autre époque -, le fait d'avoir rebaptisé les toponymes flamands, de même que j'ai beaucoup apprécié bon nombres de citations, de vers, de maximes, de réflexions existentielles. Autant, je n'ai pas du tout adhéré à l'histoire, bien trop simple et presque convenue de Cachotterie. Une désagréable sensation de " déjà vu / déjà lu ". Pour autant, je ne nie absolument pas que ce roman puisse plaire à des lecteurs amateurs de " classicisme littéraire " ou de polars point trop sanglants & modernes.

C'est d'autant plus dommage que cette élan original n'ait pas été poussé à son paroxysme. Après, c'est un premier roman, et rien que pour cela c'est déjà très bien d'être arrivé là, je pense. Mais l'ensemble n'est pas assez abouti pour moi.

Donc, je ne dirai qu'une seule chose : à confirmer avec la suite des aventures d'Hermione Montbaillard (si suite il y a).

D'un autre côté, tous les goûts sont dans la nature, et on ne peut pas plaire à tout le monde.

À méditer...

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