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05 Jan

Sandman, (Volume 1), de Neil Gaiman (1988, et 2012 pour l'édition URBAN COMICS)

Publié par Benedict Mitchell  - Catégories :  #Alcôves

Sandman, (Volume 1), de Neil Gaiman (1988, et 2012 pour l'édition URBAN COMICS)

Sandman est une œuvre culte, qui puise ses influences bien au-delà de ce qui définit généralement un comics ou une Bande Dessinée. Bien, parce que déjà, Sandman c'est plus qu'un simple comics, c'est un roman graphique, et le volume qui nous intéresse ici, le premier, est une anthologie car Sandman fut à l'origine publié sous forme de comics (par épisode - 75 au total). La division française de Vertigo/DC Comics a bien fait les choses, chez Urban Comics, en nous proposant une réédition sous forme d'intégrale en 7 volumes dont l'ultime album sortira en France le 13 Février 2016.

Neil Gaiman, on ne le présente plus. Auteur britannique prolifique est à l'univers sombre, onirique, déjanté mais toujours pourvu de réflexions et de nuances philosophiques, et même psychologiques, on lui doit quelques-uns des plus grands romans de dark fantasy de notre époque : Coraline, Neverwhere, American Gods ou encore De Bons Présages co-écrit avec Terry Pratchett. Mais ce que certains ignorent peut-être, c'est que Gaiman a commencé avec des scénarios de bande-dessinées & comics. Sandman est très certainement la plus aboutie, la plus profonde de ses très nombreuses œuvres. Et indiscutablement, la plus poussée et la plus troublante...

-> VOLUME 1 :

" 1916, Angleterre.

En quête d'immortalité, un mage du nom de Roderick Burgess emprisonne par erreur le jeune frère de la Mort, Morphée, l'un des sept Infinis incarnant les forces primordiales de l'univers.

Craignant pour sa vie, le sorcier garda le Maître des Rêves captif durant sept décennies, perturbant le sommeil du reste de l'Humanité. Libéré, Morphée se mit en quête de ses attributs de pouvoir - un masque, un joyau et un sac de sable - afin de rétablir l'ordre universel et chasser du territoire des Rêves les démons, usurpateurs de ses pouvoirs. De son royaume onirique dévasté aux terres infernales de Lucifer, l'Infini croisera l'horreur sous toutes ses formes, qu'elle soit humaine, magique, démoniaque, ou née des tourments causés par les membres de sa propre famille. "

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" Sandman est l'œuvre imaginée par Neil Gaiman.

Inspirée par le concept d'un personnage classique de l'univers de DC, la série débute en 1988 pour s'achever en 1996, après 75 numéros. Acclamé par la critique et les lecteurs dès sa publication, ce titre fondateur du label Vertigo est reconnu comme l'une des pièces majeures de notre culture contemporaine.

Mêlant mythes modernes, dark fantasy, poésie et philosophie, Neil Gaiman déploie toute l'étendue de ses talents de conteur pour bâtir un univers onirique inédit.

Bénéficiant d'une nouvelle mise en couleur, au service des nombreux dessinateurs de la série, cette édition rassemble en fin de volume de nombreux croquis et études, la proposition intégrale de la série telle qu'elle fut proposée à l'éditrice Karen Berger, ainsi qu'un entretien inédit avec Neil Gaiman, mené par Hy Bender. "

Morphée, le Maître des Rêves

Morphée, le Maître des Rêves

L'originalité de l'œuvre tient en plusieurs points, capitaux.

1. Les influences :

Nous sommes en présence d'un véritable condensé de ce qui fait la force de la culture américaine. Non content d'évoquer de grands noms de l'univers des Comics (Destin, l'asile d'Arkham et quelques-uns de ses célèbres pensionnaires, Batman, la Ligue des Justiciers, John Constantine...) le récit est parsemé d'innombrables références. La première c'est Cthulhu et Lovecraft, déjà rien que pour le masque dont aime s'affubler Morphée.

Un calque partiellement encré par-dessus les crayonnés finaux pour un dessin promotionnel du Sandman, inédit, par Leigh Baulch

Un calque partiellement encré par-dessus les crayonnés finaux pour un dessin promotionnel du Sandman, inédit, par Leigh Baulch

Lovecraft, aussi, de par certaines intrigues : certains personnages semblant tout droit sortis de l'imagination immensément fertile de cet illustre auteur de génie.

En outre, on retrouve aussi certaines ambiances chères à Stephen King (un congrès dans lequel se retrouveraient près de 50 tueurs en séries - des collectionneurs - de la pire espèce, ça sonnerait presque comme du King ! ), Graham Masterton...

2. Le mélange des genres

On a souvent tort de considérer l'univers de la BD, du comics ou du roman graphique comme destiné à un public d'(éternels) adolescents à tendance geek ou pire encore, vieux garçons... parce qu'ils véhiculent bien souvent des messages très intéressants, des valeurs qui font réfléchir, notamment sur les dérives de la société américaine... Le Comics moderne est même le porte-étendard de la contre-culture, celle qui veut changer le monde, le rendre meilleur, à l'instar des super-héros qu'elle met sur un piédestal.

En plus de cela c'est aussi une ode à la poésie, avec des diatribes à couper le souffle (en plus de références comme William Shakespeare) et tout un cheminement psycho-philosophique à propos d'un tas de thèmes comme les origines des névroses, les conséquences d'un conditionnement forcé, la vengeance... tout en faisant des bulles narratives, mixées aux illustrations, un magnifique roman de dark fantasy à la limite du surréalisme et de la science fiction.

3. Quand l'écrit et le dessin forment un mariage parfait, une symbiose totale...

Parfois, il n'est pas aisé de suivre le fil narratif - ce fil d'Ariane nous perd parfois dans les méandres d'un labyrinthe onirique - mais il n'en devient que plus immersif. On se retrouve perdu, comme le sont les quelques personnages qui croisent la route du Sandman.

En outre, ces illustrations, surtout celles qui s'insèrent entre chaque épisode, sont d'une beauté, d'une poésie, d'une originalité à couper le souffle !

Je vous laisse en juger par vous-même avec les deux illustrations ci-dessous que je me suis permise de scanner pour appuyer mon propos :

Illustrations de Dave McKeanIllustrations de Dave McKean

Illustrations de Dave McKean

Le dessin est tantôt délicat, onirique, souvent froid, dur, brutal comme pour souligner l'univers particulier du Sandman, l'âpreté de ses combats, quêtes et missions.

4. Une galerie de personnages complètement rocambolesques

Qu'il s'agisse d'humains lambdas (dont les routes de certains vont croiser celle du Sandman), des créatures que doit affronter notre sombre héros, ou même des " cas ", des membres de sa famille, les personnages nous interpellent, nous marquent, de par leur singularité.

Sans spoiler, j'avoue avoir eu de sacrées surprises en découvrant le vrai visage de la Mort (dont Morphée est, je rappelle, le petit frère), ainsi que d'autres Infinis.

Et ces Infinis, quelle belle création je trouve ! Personnifier les forces originelles de l'univers, en les drapant dans des sortes d'archétypes divins, complètement déjantés - pour certains - il fallait y penser. Car l'effet est là : ça fonctionne et pas qu'un peu.À tel point qu'on a qu'une envie, une fois la dernière page de ce premier volume dévoré, vite se procurer les 6 volumes suivant !

L'autre force de cette galerie de personnages, c'est qu'ils sont tous liés les uns aux autres. On croit parfois avoir oublié untel qu'on avait croisé dans les tous premiers épisodes, et puis non, une connexion se fait plus tard, qui nous ramène en arrière, et qui renforce considérablement la force de cette intrigue hors-norme.

L'un des Princes de l'Enfer, au visage d'ange... (illustration de Dave McKean)

L'un des Princes de l'Enfer, au visage d'ange... (illustration de Dave McKean)

5. Un anti-héros sombre et... glam' ?

Morphée, il fallait le créer. Même si les dessins nous le montrent comme une " divinité " presque dangereuse, inaccessible (Infini oblige), il n'en reste pas moins assez chevaleresque et protecteur. En qualité de Maître des Rêves (et sans entrer dans les détails) le Sandman ( = le Marchand de sable) chapeaute les jolis rêves mais aussi les cauchemars. Sous ses ordres, une multitude de subalternes que vous aurez, je l'espère, grand plaisir à découvrir. Infini, immortel, intemporel, Morphée a traversé les époques, et il est dévoué " corps & âmes " à sa tâche qui est de protéger le Songe, le domaine du rêve. Aussi, lorsqu'un sorcier, Roderock Burgess (transfuge entre un Aleister Crowley et l'un des sorciers de l'univers Lovecraftien) le retient prisonnier durant près de 70 ans, le monde du rêve subit de sérieux dégâts. Certains désertent, tandis que d'autres s'emparent des artefacts du Marchand de Sable (desquels il tirent tout son pouvoir). Les humains aussi morflent sévère... et Morphée aura bien du mal à se dépatouiller de ce solide merdier, devant souvent unir ses forces à des alliés aussi inattendus que dangereux.

MorphéeMorphée

Morphée

Morphée, enfin, physiquement m'a beaucoup évoqué un certain Trent Reznor, à l'époque où il dégoulinait de ténèbres enchanteresses. Physiquement, certes. Mais de par sa personnalité, j'ai plus pensé à un Clint Eastwood, à l'époque de classiques qui l'ont élevé au rang de légende : le héros qui restent toujours froid, placide, déterminé, maître de lui même, défendant l'injustice, vengeur. Un curieux mélange mais qui fait de ce personnage un anti-héros très attachant, et très profond. Je suppose que vu la matière qu'il me reste à ingurgiter, il ne manquera très certainement pas de me surprendre encore... et encore...

Un autre personnage très " fascinant " (et lié à Morphée)... le Corinthien

Un autre personnage très " fascinant " (et lié à Morphée)... le Corinthien

-> EXTRAITS

" - Savez-vous de quoi sont faits les rêves, Rosemary Kelly ?

- Faits ? Ce sont juste des rêves...

- Non. Pas du tout. Pour les gens, les rêves ne sont pas réels car ils n'ont ni matière, ni particules. Ils le sont, mais ils se composent d'opinions, d'images, de souvenirs, de blagues et d'espoirs perdus... "

(...)

" La mort me fait face, ce jour :

Comme la guérison d'un malade,

Comme une entrée au jardin après la maladie.

La mort me fait face, ce jour :

Comme un parfum de myrrhe,

Comme on s'assoit sous une voile par bon vent.

La mort me fait face, ce jour :

Comme le cours d'un torrent,

Comme un homme quitte la galère de guerre et rentre chez lui.

La mort me fait face, ce jour :

Comme le foyer dont l'homme se languit,

Après des années passées en captivité. "

(...)

" Les rêves et les visions sont insérés en l'homme pour leur bien et leur instruction... "

Artemirodos à Daldus,

Oneirocritica,

2ème siècle après J-C "

(...)

" Il est des contes maintes fois racontés. Certains contes qu'on dit aux enfants, pour leur apprendre l'histoire de la tribu, ce qui est bon à manger ou pas. Des mises en garde.

Il y a ceux que disent les femmes dans la langue secrète jamais apprise aux hommes-enfants que les vieux sont trop sages pour apprendre, et on ne dit pas ces contes aux hommes.

Il y a les contes que se disent les hommes, dans leur hutte le soir ; les farces comiques du lézard qui perdit son membre viril, ou du malabayo, le malin qui vendit de la crotte de singe au roi lion en jurant que c'était l'âme de la lune.

Il y a les contes que toute la tribu se raconte, aux fêtes et aux banquets : l'histoire du caillou qui sautait, de la venue du feu, et mille autres.

Des contes petits et grands, dits et entendus maintes et maintes fois.

Un seul conte n'est dit qu'une fois... "

(...)

" ... Vous savez, je n'ai pas coutume de parler en public. Mais l'occasion de m'exprimer devant vous tous était trop belle pour la laisser filer. Parce que vous êtes des gens spéciaux. Très spéciaux. C'est nous, les rêveurs américains qui suivons la route sacrée du vrai savoir, payée d'or et de sang. Et, de long en large en ce beau pays, nous tuons des gens. On ne fait pas ça pour gagner notre vie, ni par vengeance. Nous ne tuons pas les gens de façon anonyme... en empoisonnant leur aspirine, en glissant du verre dans les petits pots de bébés. Nous n'entrons pas armés dans un fast-food pour tirer jusqu'à ce que les flics fassent gicler notre cervelle sur les frites. Nous n'assassinons pas pour le profit, pour un gouvernement, ni pour d'autres. On tue pour tuer. Nous sommes les pionniers d'un domaine en expansion. Euh... Nous sommes gladiateurs, soldats de fortune, mousquetaires, héros et rois dans la nuit. Nous sommes les vivants et c'est un triomphe. Notre triomphe. Notre gloire. "

(...)

" ... Ça signifie que le monde est à peu près aussi solide et fiable qu'une couche d'écume à la surface d'un puits d'eau noire qui plonge sans fin, et il y a dans ses profondeurs des choses auxquelles je ne veux même pas penser. Ça signifie plus encore. Ça signifie que nous ne sommes que des poupées. Nous n'avons aucune idée de ce qu'il se passe réellement, nous nous imaginons que nous contrôlons notre vie, alors qu'à une feuille de papier de là, des choses qui nous rendraient fous si nous y réfléchissions trop jouent avec nous, nous déplacent d'une pièce à l'autre, et nous rangent le soir quand elles sont fatiguées, ou qu'elles s'ennuient. "

(...)

" ... Nous autres Infinis sommes les serviteurs des vivants... et non leurs maîtres. Nous existons parce qu'ils savent, au fond du cœur, que nous existons. Quand le dernier être vivant aura quitté cet univers, notre tâche sera finie. Et nous ne les manipulons pas. Eux, peut-être, nous manipulent. Nous sommes leurs jouets. Leurs poupées, si tu veux. "

L'Enfer est-il toujours pavé de bonnes intentions ?

L'Enfer est-il toujours pavé de bonnes intentions ?

MA NOTE : 5/5

OUI, UN VRAI CHEF-D'ŒUVRE MODERNE !

Sans renier les comics traditionnels, je considère que Sandman va bien au-delà de ce qu'on a l'habitude de trouver dans des aventures de Batman & autres confrères masqués. Même si le Sandman est initialement conçu comme un " super héros " il est au final bien plus que ça.

Entre conte philosophique et aventure fantastique terrifiante, sans concessions, Sandman peut aussi être vue comme une personnification des forces qui animent les hommes - forces qui sont poussées à leur paroxysme, qui sont malmenée dans notre société moderne. L'œuvre est un véritable plaidoyer en faveur de la nécessité des rêves, de ce qu'ils représentent pour les hommes, et cela dans diverses sociétés, à différentes époques, et elle nous interroge aussi sur ces forces élémentaires & créatrices de l'univers : les rêves, oui, mais aussi la mort, le désespoir, le désir, le destin etc...

En outre, je pense aussi, que ce n'est pas après avoir lu le premier volume qu'on peut parvenir à cerner totalement une création aussi complexe, profonde, et originale qu'est Sandman.

Par ailleurs, c'est un roman graphique à ne pas mettre dans toutes les mains, de par sa violence (peut-être mais ça n'est pas ce qui m'a le plus choqué) car sa complexité, son lyrisme, ses réguliers apartés avec la philosophie, la poésie, la psychologie etc... pourraient en rebuter plus d'un.

D'où la réputation de l'œuvre d'être le premier comics à destination d'un public intellectuel. Je suis assez d'accord, et c'est pour ça que la création de Gaiman vient d'être catapultée dans mon top 3 des meilleurs " comics " juste devant Watchmen d'Alan Moore & Dave Gibbons. Du super héros, des vilains charismatiques, de la violence (pas) gratuite, OUI ! Mais édulcorés de psychologie, de personnages consistants & attachants, de rêves & de cauchemars, de réflexions, de profondeur, alors là je dis : OUI ! OUI ! OUI !!!!

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