" Aeternia - Tome 1 : La Marche du Prophète " de Gabriel Katz (2015)
Parce qu'il existe des livres (et des auteurs) qu'on découvre par le bouche-à-oreilles, au gré d'un festival sur les Mondes Imaginaires et qu'on se décide à découvrir, attiré par le court résumé d'un livre alors qu'une petite voix, dans votre tête, vous murmure d'acheter ledit livres, les yeux fermés ... Et puis, avant même de l'avoir ouvert, vous rencontrez, sur la route des dédicaces, l'auteur, très abordable, sympathique, drôle et qu'il vous donne, en personne, l'envie de découvrir une oeuvre saluée par la critique ... Dès lors que vous avez ouvert ledit livre, vous vous retrouvez happé par l'histoire, ses intrigues, un nouvel univers (très riche), ses personnages, et vous n'arrivez pas à le fermer. Vous le dévorez en un jour à peine et vous le refermez, transformé à jamais, des étoiles plein la tête, le coeur serré de devoir attendre la sortie du tome 2. Et vous pensez déjà au moment où vous serez à nouveau devant l'auteur et vous pourrez lui dire, le coeur enflammé, que vous avez adoré son univers et qu'il vous a apporté quelque chose de précieux : l'envie de toucher d'autres lecteurs, vous aussi, avec vos propres histoires (et dans un genre similaire, celui de l'heroic fantasy). Vous refermez le livre avec cette conviction, enracinée, que vous aussi vous voulez faire comme lui et faire rêver les gens (et accessoirement acquérir la même maîtrise de l'écriture et de la narration que la sienne).
Vous l'aurez compris, il y a encore quelques semaines, je ne connaissais pas du tout Gabriel Katz. Une heureuse découverte et un auteur que je compte bien suivre désormais (de même que lire les 4 autres livres déjà publiés). Quand on lit le résumé de son parcours, on ne peut que se sentir en confiance, avant même d'entrer dans son univers : passionné de jeux de rôles et par l'écriture (avant de publier sous son nom de plume, le personnage s'était déjà illustré en ayant publié une trentaine d'ouvrages en tant que nègre), on est fasse à un roman construit avec brio. Tous les ingrédients que l'on est en droit d'attendre d'un roman du genre " fantasy " sont là, mais sans tomber dans les clichés et autres stéréotypes du genre. Gabriel Katz m'a dit, lorsque je l'ai rencontré au Trolls & Légendes 2015, que ce premier tome d'Aeternia était son oeuvre la plus sombre. Pour l'heure, n'ayant pas encore lu ses autres ouvrages, je ne peux pas confirmer mais je peux juste dire que oui, c'est très sombre ... ce qui n'est pas pour me déplaire, bien au contraire !
< Synopsis >
Leth Marek, champion d'arènes, se retire invaincu, au sommet de sa gloire. Il a quarante ans, une belle fortune et deux jeunes fils qu'il connaît à peine. C'est à Kyrenia, la plus grande cité du monde, qu'il choisit de les élever, loin de la violence de sa terre natale. Lorsqu'il croise la route d'un culte itinérant, une étrange religion menée par un homme qui se dit prophète, l'ancien champion ignore que son voyage va basculer dans le chaos.
A Kyrenia, où l'on adore la Grande Déesse et les puissants du Temple s'entredévorent, une guerre ouverte éclate entre deux cultes, réveillant les instincts les plus noirs. La hache de Leth Marek va de nouveau tremper dans le sang ...
Le plus violent des combats est celui que l'on mène contre ses propres croyances.
En lisant le résumé de la 4ème de couv', j'ai tout de suite pensé à David Gemmel et la trilogie de Jon Shannow, centrée sur le fanatisme religieux ... Et pourtant, apparemment (et bien qu'on lui en ait fait la remarque à plusieurs reprises), Gabriel Katz ne l'a pas lu. On est forcé de constaté, lorsque l'on immerge dans cet univers, qu'il y a beaucoup de similitudes avec l'oeuvre de David Gemmel : la plume, la force de la narration et des dialogues, le personnage de Leth Marek (en adéquation avec des personnages forts et emblématiques tels que Druss La Légende ou Jon Shannow), des personnages secondaires qui prennent, au fil du récit, de plus en plus d'importance, les intrigues croisées qui se rejoignent, les effets de surprises qui font fis des convenances .... tout cela nous pousse à nous poser des questions existentielles et à transposer l'intrigue à notre réalité : la noirceur humaine, la bassesse des instincts, le machiavélisme des hommes de religion prêts à tout pour parvenir au plus haut sommet de l'échelle de leur culte quitte à assassiner la veuve et l'orphelin et à fomenter complots, intrigues et autres manipulations .. la soif de pouvoir, l'appel du sang, la manipulation des esprits faibles et des plus crédules. Ce sont là autant de thèmes d'actualités qui sont transposés dans Aeternia. Le fantastique, pas du tout présent au début de l'intrigue, prend vers la fin une importance inattendue, ce qui nous laisse attendre la suite avec une impatience non dissimulée. Mais qu'est-ce que peut bien nous réserver Gabriel Katz pour le tome 2 d'Aeternia ???!!!
Les deux cultes qui s'affrontent dans ce roman sont aux antipodes l'un de l'autre. D'un côté, la Grande Déesse, le culte commun des gens civilisés de la grande cité de Kyrenia. Son temple, ses grands prêtres, ses moines, ses comploteurs. Un culte qui s'appuie en majorité sur la domination des plus riches sur les plus faibles. Servir sa déesse. Porter autour de son cou son symbole, la clé, celle qui permettra aux défunts fidèles de rejoindre leur paradis ... Ses moines fanatiques au crâne rasé qui prônent un retour aux valeurs fondamentales du culte de la Grande Déesse, qui souhaitent abolir les privilèges des hauts fonctionnaires du culte et les déviances qui vont avec .... Les Rédempteurs, ce groupe de mercenaires armés qui sème la terreur dans les campagnes et pourchasse le second culte, celui d'Ochin. Un lointain culte oublié qui vient du Sud, énigmatique, dont les jeunes et belles prêtresses (comme les prêtres) toutes de blanc vêtues, prônent quand un système basé sur l'égalité : chaque croyant est un membre de l'Eglise d'Ochin, représenté dans la colonne par son énigmatique Prophète ... Qui en s'adressant aux laissés-pour-comptes, aux paysans, aux nécessiteux, au petit peuple, voit ses rangs grossir de jour en jour, jusqu'à devenir une menace pour le Culte de la Grande Déesse qui voit ses moutons s'éloigner et quitter le troupeau. Mais les loups rôdent .... dans l'ombre ils étendent leur sourde menace. Sont-ils vraiment de l'autre côté de la pâture en fin de compte ?
La force de ce récit tient en son arc narratif croisé. On va d'abord suivre les pérégrinations du gladiateur retraité Leth Marek qui quitte sa cité de Morgoth pour aller rejoindre la grande cité de la loi & du savoir, dédiée aux arts et aux lettrés, Kyrenia, jusqu'à ce qu'il se retrouve confronté, par la force des évènements, au culte d'Ochin, renversant d'un revers de la main toutes les certitudes qu'il avait établi et le forcera à prendre une autre chemin, bien malgré lui.
De l'autre côté des murs de Kyrenia, aux abords du Temple, nous suivrons l'arrivée d'un jeune homme, Varian, souhaitant entrer dans le culte de la Grande Déesse. A travers lui, nous entrerons dans l'enceinte du Temple pour mieux comprendre la partie d'échecs qui se joue dans l'ombre et les obscures tractations de certains des représentants du culte ...
< Extraits >
" Respirer. Ne plus penser à rien. Sentir sous ses doigts le manche rugueux de la hache, planter son talon dans le sable de l'arène, fermer les yeux et attendre. Oublier le murmure de la foule, la chaleur qui montait du sol, le claquement des bannières au sommet des gradins. Se recueillir, comme pour une prière. Un rituel si familier qu'il en devenait presque apaisant, quelques secondes à peine avant le choc des armes. Mais, cette fois, Leth Marek ne put s'empêcher d'ouvrir les yeux, car c'était le dernier. "
" Une fois de plus, l'énorme campement d'Ochin semblait sortir de terre. Il fallut moins d'une heure à ces nomades aguerris pour planter les tentes, aménager les bivouacs, décharger les chariots et nourrir les bêtes. Le métier rentrait. On avait monté l'enclos pour les chèvres, installé sous un auvent la table du recruteur et planté la figurine d'Ochin bien haut au-dessus de la tente du Prophète. Les prêtres s'affairaient, papillonnant d'un endroit à l'autre. Des milliers d'anonymes déroulaient leurs couvertures. Et l'inévitable encensoir, chargé de braises à peine sortie des flammes, répondait déjà son nuage de parfums et d'épices. "
" Soudain, l'orage. L'orage kyrénien, violent, imprévisible, qui en quelques secondes coiffait la ville d'une chape noire zébrée d'éclairs. Puis venait la pluie, lourde et torrentielle, déchaînant des flots d'apocalypse dans les rues en pente, contraignant les citoyens de la ville mère à se ruer dans les tavernes, les échoppes, parfois même dans des maisons particulières. Les moins chanceux se tassaient sous des auvents gorgés de pluie, priant pour ne pas ruiner leurs beaux costumes. Le temps que durait la tempête - cinq, dix minutes -, de parfaits inconnus se serraient les uns contre les autres, et tout d'un coup l'averse cessait, le tonnerre s'éloignait, chacun reprenait le cours de sa vie. De belles amitiés - parfois plus - se nouaient sous la tempête, et les étrangers comprenaient enfin cet étrange proverbe kyrénien : " Si tu cherches une épouse, attends l'orage ".
Mais la Grande Déesse ne voulut pas que Varian se retrouve blotti contre une marchande de souvenirs le jour de son premier orage. au lieu de cela, il se retrouva sous un auvent, comprimé entre deux visiteurs obèses venus faire leurs offrandes au Temple, avec leurs pourpoints brodés au fil or. Il fallait l'avoir vécu pour le savoir, mais rien ne grattait plus que le frottement du fil d'or, ces hommes étaient plus abrasifs que des pierres ponces. "
Ma note : 5/5
Sans surprises, c'est une réussite totale ! 5 livres dont les récits se déroulent dans le même univers (pour ceux qui ont lu la trilogie du Puits des Mémoires et La Maîtresse de Guerre, ils reconnaîtront certaines choses ...). Ce premier volet de ce qui sera un diptyque est juste énorme et captivant. A chaque chapitre, Gabriel Katz réussit avec brio à tenir le lecteur en haleine et ce dernier ne peut plus fermer le livre. Et lentement une question émerge : mais c'est quoi Aeternia bon sang ? Après avoir lu La Marche du Prophète, vous en aurez une petite idée et l'attente jusqu'à la sortie du tome 2 vous paraîtra juste insupportable ! Fort heureusement, pour moi, ça me laissera le temps de lire les 4 livres sortis précédemment.
On retrouve la thématique du héros qui se pose en justicier " maudit " très Eastwoodien (ce qui fait penser à David Gemmell ... serions-nous face à son digne successeur littéraire ? J'ai envie de dire " oui " ! ) .Tous les codes du genres sont renversés, l'univers est sombre, très sombre, ce qui arrive aux deux héros pourra paraître injuste, pour certains lecteurs. J'ai envie de dire que c'est un passage obligé pour donner plus de corps à l'histoire. Et s'il fallait résumer ce roman exceptionnel, par sa qualité, : " ne jamais se fier aux apparences " ....